Le Cœur mort

 
Je rêvais que mon cœur flottait dans le château
Au-dessus d’une coupe étrange et poussiéreuse :
— Pour y saigner, bien sûr ! Car sa plaie est si creuse
Que le temps y retourne encore le couteau !

Eh quoi ? La chose alors était par trop affreuse :
Ni la meule du spleen, ni les coups de marteau
Du malheur, ni l’angoisse aux mâchoires d’étau
Ne pouvaient exprimer sa pourpre douloureuse.

Mon cœur vit ! m’écriai-je, il palpite ; il ressent !
Je perçois son tic-tac, et certes, c’est du sang,
Du sang qui va couler de sa blessure ouverte !

Mais non ! Il était mort, archi-mort, et si mûr,
Qu’une larme de pus nauséabonde et verte
En suinta lentement comme l’eau d’un vieux mur.

Collection: 
1866

More from Poet

Toujours la longue faim me suit comme un recors ;
La ruelle sinistre est mon seul habitacle ;
Et depuis si longtemps que je traîne mes cors,
J'accroche le malheur et je bute à l'obstacle.

Paris m'étale en vain sa houle et ses décors :
Je vais sourd à tout bruit,...

Brusque, avec un frisson
De frayeur et de fièvre,
On voit le petit lièvre
S'échapper du buisson.
Ni mouche ni pinson ;
Ni pâtre avec sa chèvre,
La chanson
Sur la lèvre.

Tremblant au moindre accroc,
La barbe hérissée
Et l'oreille...

Gisant à plat dans la pierraille,
Veuve à jamais du pied humain,
L'échelle, aux tons de parchemin,
Pourrit au bas de la muraille.

Jadis, beaux gars et belles filles,
Poulettes, coqs, chats tigrés
Montaient, obliques, ses degrés,
La ronce à présent s'y...

Droits et longs, par les prés, de beaux fils de la Vierge
Horizontalement tremblent aux arbrisseaux.
La lumière et le vent vernissent les ruisseaux.
Et du sol, çà et là, la violette émerge.

Comme le ciel sans tache, incendiant d'azur
Les grands lointains des bois...

Quand on arrive au Val des Ronces
On l'inspecte, le coeur serré,
Ce gouffre épineux, bigarré
De rocs blancs qu'un torrent noir ponce.

Partout, sous ce tas qui s'engonce,
Guette un dard, toujours préparé,
Qui, triangulaire, acéré,
Si peu qu'il vous pique...