Laisse-moi ...

Laisse-moi raison importune,
Cesse d'affliger mon repos,
En me faisant mal à propos
Désespérer de ma fortune :
Tu perds temps de me secourir,
Puisque je ne veux point guérir.

Si l'amour en tout son empire,
Au jugement des beaux esprits,
N'a rien qui ne quitte le prix
A celle pour qui je soupire,
D'où vient que tu me veux ravir
L'aise que j'ai de la servir ?

A quelles roses ne fait honte
De son teint la vive fraîcheur ?
Quelle neige a tant de blancheur
Que sa gorge ne la surmonte ?
Et quelle flamme luit aux cieux
Claire, et nette comme ses yeux ?

Soit que de ses douces merveilles,
Sa parole enchante les sens,
Soit que sa voix de ses accents,
Frappe les coeurs par les oreilles,
A qui ne fait-elle avouer
Qu'on ne la peut assez louer ?

Tout ce que d'elle on me peut dire,
C'est que son trop chaste penser,
Ingrat à me récompenser
Se moquera de mon martyre :
Supplice qui jamais ne faut
Aux désirs qui volent trop haut.

Je l'accorde, il est véritable :
Je devais bien moins désirer :
Mais mon humeur est d'aspirer
Où la gloire est indubitable.
Les dangers me sont des appas :
Un bien sans mal ne me plaît pas.

Je me rends donc sans résistance
A la merci d'elle et du sort :
Aussi bien par la seule mort
Se doit faire la pénitence
D'avoir osé délibérer,
Si je la devais adorer.

Collection: 
1592

More from Poet

  • Est-ce à jamais, folle espérance,
    Que tes infidèles appas
    M'empêcheront la délivrance
    Que me propose le trépas ?

    La raison veut, et la nature,
    Qu'après le mal vienne le bien ;
    Mais en ma funeste aventure,
    Leurs règles ne servent de rien.

    C'est...

  • Chère beauté que mon âme ravie
    Comme son pôle va regardant,
    Quel astre d'ire et d'envie
    Quand vous naissiez marquait votre ascendant,
    Que votre courage endurci,
    Plus je le supplie moins ait de merci ?

    En tous climats, voire au fond de la Thrace,
    Après...

  • Tu vois, passant, la sépulture
    D'un chef-d'oeuvre si précieux,
    Qu'avoir mille rois pour aïeux
    Fut le moins de son aventure.

    L'experte main de la nature,
    Et le soin propice des cieux,
    Jamais ne s'accordèrent mieux
    A former une créature.

    On doute...

  • Ma Crisante avec une foi
    Dont l'âge atteste l'innocence,
    M'a fait serment qu'en mon absence
    Elle aura mémoire de moi.

    Cette faveur si peu commune
    Me donne tant de vanité
    Qu'à la même divinité
    J'ose comparer ma fortune.

    Peut-être qu'elle me déçoit...

  • Infidèle mémoire
    Pourquoi fais-tu gloire
    De me ramentevoir
    Une saison prospère
    Que je désespère,
    De jamais plus revoir ?