La Vierge de Sunam

 

On dit qu’au vieux David, pale et transi par l’âge,
Tandis qu’autour de lui fumaient les trépieds d’or,
Et que des grands lions la dépouille sauvage
S’enroulait à son sein, sans réchauffer encor,

Pour réveiller le maître, en sa couche glacée,
Un serviteur fidèle, un soir, vint amenant
Superbe et demi-nue, et la tête baissée,
La brune Abizaïg, la vierge de Sunam ;

Sur sa gorge ondoyante et dans sa chevelure
On répandit les flots de la myrrhe et du nard,
Comme la jeune épouse, elle ôta sa ceinture
Et se glissa, timide, aux côtés du vieillard ;

Des filles d’Orient aux formes enivrantes
C’était la plus ardente et la plus belle à voir,
Avec ses longs cheveux qu’en vagues odorantes
Sur le grand moribond, elle laissa pleuvoir.

Les tympanons d’airain frissonnaient autour d’elle,
Tandis que, suspendue aux lèvres du vieux roi,
La vierge souriait, comme la fleur fidèle,
Dont les bras embaumés pressent un tombeau froid.

Et versant à l’entour, les parfums de la nue,
La nuit, la nuit a vu, de ses prunelles d’or,
Ce qu’il faut de baisers et d’ardeur inconnue
Pour rallumer une âme et réchauffer un mort.

Vierge, je ne suis pas le vieux roi centenaire !
Le temps n’a point encor fait blanchir mes cheveux,
À peine quelques jours, j’ai paru sur la terre,
Et je vois mon berceau, quand je tourne les yeux.

Pourtant, comme un vieillard, j’ai l’âme froide et nue,
Voilà que tout mon cœur est éteint maintenant,
Et je m’en vais mourir, car tu n’es pas venue,
Ô brune Abizaïg, ô vierge de Sunam !

Collection: 
1841

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