La Tour Saint-Jacques

De quelques exploits amoureux
Notre esprit se rappelle,
Mais c'est toujours au moins heureux
Que le cœur est fidèle !
A celle qu'on ne peut avoir
On garde une tendresse,
Comme je fais depuis un soir
De ma pauvre jeunesse.
Ce soir-là j'avais pour l'amour
Mis mes habits de Pâques,
Car une fille, faite au tour,
Devait aller m'attendre autour,
Tout autour, de la Tour
Saint-Jacques.

Voilà comment c'était venu :
De fenêtre à fenêtre,
En lui parlant j'avais connu
Un immense bien-être !...
Cette enfant était de Paris,
Dont les filles sont fières,
Et se choisissent des maris,
Quelquefois sans leurs mères.
Et, pour connaître mon amour
Ou mes habits de Pâques,
Ou, pour me payer de retour,
Nous devions nous trouver autour,
Tout autour, de la Tour
Saint-Jacques.

Vers ce temps, la Tour n'avait pas
Robe de blanche pierre,
Ni la traîne et les falbalas
Que lui fait son parterre ;
A ses pieds, — poudreux et meurtris, —
Des huttes et des halles,
Et dans son grand corps noir ou gris
On y fondait des balles :
Mais je l'aimais ! J'aimais l'amour
Et mes habits de Pâques !...
J'adorais ce triste séjour,
Puisqu'elle m'attendait autour,
Tout autour, de la Tour
Saint-Jacques.

J'en fis à peine le chemin,
Ma beauté vint de suite ;
Lorsque jeune on parle d'hymen
Comme le cœur bat vite !
Il faisait un temps radieux.
— Le ciel était sans voiles ;
Mais pour moi qui voyais ses yeux
Qu'importaient les étoiles !
Tout mon corps frissonnait d'amour
Dans mes habits de Pâques,
De la voir ainsi sans détour
Avec moi cheminer autour,
Tout autour, de la Tour
Saint-Jacques.

Vous avez sans doute un métier ?
Me dit ma jeune conquête :
Oui, dis-je, je suis ouvrier,
Ma famille est honnête !
« Je vous prenais pour un commis,
Ajoute alors ma belle ;
Pourquoi n'êtes-vous pas mieux mis ?
Adieu, Monsieur ! » dit-elle....
Soyez donc fier de votre amour,
De vos habits de Pâques,
Pour que la fin d'un si beau jour
Vous trouve là pleurant autour,
Tout autour, de la Tour
Saint-Jacques !

Collection: 
1874

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