La robe du centaure

Antique Justicier, ô divin Sagittaire,
Tu foulais de l'Oita la cime solitaire,
Et dompteur en repos, dans ta force couché,
Sur ta solide main ton front s'était penché.
Les pins de Thessalie, avec de fiers murmures,
T'abritaient gravement de leurs larges ramures ;
Détachés de l'épaule et du bras indompté,
Ta massue et ton arc dormaient à ton côté.
Tel, glorieux lutteur, tu contemplais, paisible,
Le sol sacré d'Hellas où tu fus invincible.
Ni trêve, ni repos ! Il faut encor souffrir :
Il te faut expier ta grandeur, et mourir.

O robe aux lourds tissus, à l'étreinte suprême !
Le Néméen s'endort dans l'oubli de soi-même :
De l'immense clameur d'une angoisse sans frein
Qu'il frappe, ô Destinée, à ta voûte d'airain !
Que les chênes noueux, rois aux vieilles années,
S'embrasent en éclats sous ses mains acharnées ;
Et, saluant d'en bas l'Olympe radieux,
Que l'Oita flamboyant l'exhale dans les cieux !

Désirs que rien ne dompte, ô robe expiatoire,
Tunique dévorante et manteau de victoire !
C'est peu d'avoir planté d'une immortelle main
Douze combats sacrés aux haltes du chemin ;
C'est peu, multipliant sa souffrance infinie,
D'avoir longtemps versé la sueur du génie.
O source de sanglots, ô foyer de splendeurs,
Un invisible souffle irrite vos ardeurs ;
Vos suprêmes soupirs, avant-coureurs sublimes,
Guident aux cieux ouverts les âmes magnanimes ;
Et sur la hauteur sainte, où brûle votre feu,
Vous consumez un homme et vous faites un Dieu !

Collection: 
1856

More from Poet

  • (Études latines, X)

    Offre un encens modeste aux Lares familiers,
    Phidylé, fruits récents, bandelettes fleuries ;
    Et tu verras ployer tes riches espaliers
    Sous le faix des grappes mûries.

    Laisse, aux pentes d'Algide, au vert pays Albain,
    La brebis, qui promet...

  • La lune sous la nue errait en mornes flammes,
    Et la tour de Komor, du Jarle de Kemper,
    Droite et ferme, montait dans l'écume des lames.

    Sous le fouet redoublé des rafales d'hiver
    La tour du vieux Komor dressait sa masse haute,
    Telle qu'un cormoran qui regarde la...

  • Tandis qu'enveloppé des ténèbres premières,
    Brahma cherchait en soi l'origine et la fin,
    La Mâyâ le couvrit de son réseau divin,
    Et son coeur sombre et froid se fondit en lumières.

    Aux pics du Kaîlaça, d'où l'eau vive et le miel
    Filtrent des verts figuiers et des...

  • Je pâlis et tombe en langueur :
    Deux beaux yeux m'ont blessé le coeur.

    Rose pourprée et tout humide,
    Ce n'était pas sa lèvre en feu ;
    C'étaient ses yeux d'un si beau bleu
    Sous l'or de sa tresse fluide.

    Je pâlis et tombe en langueur :
    Deux beaux yeux m'...

  • Sur la montagne aux sombres gorges
    Où nul vivant ne pénétra,
    Dans les antres de Lipara
    Hèphaistos allume ses forges.

    Il lève, l'illustre Ouvrier,
    Ses bras dans la rouge fumée,
    Et bat sur l'enclume enflammée
    Le fer souple et le dur acier.

    Les...