(Fragment du livre III)
Mais maintenant achevons de répondre
A ceux qui ont, pour notre amour confondre,
Dit que c'était passion véhémente
Sur la raison de l'homme trop puissante.
Qu'il soit nommé passion, je l'accorde.
Passion est aussi miséricorde,
Et toutefois, pour être ainsi nommée,
Femme qui l'a ne doit être blâmée.
Notre terre est sujette aux passions,
A un millier de perturbations,
Dont y en a de mauvaises et bonnes.
Quand cette-là d'amour vient aux personnes,
Elle est si forte et a telle efficace
Qu'affections toutes autres efface.
Autres pourraient être en extrémité,
Toutes ensembles et d'une infinité
Troubler les sens de l'homme et jugement ;
Mais si l'amour y passe seulement,
Il veut régner seul et sans compagnie.
Ô bon tyran ! ô douce tyrannie !
Et, si c'est mal, ô heureuse malice,
Qui ne reçoit avec elle aucun vice !
Il vaut trop mieux à ce doux mal entendre,
Qui seul nous peut de tous autres défendre,
Puisqu'à tous maux notre faiblesse est née,
Qu'en demeurant en simplesse obstinée,
Aux ennemis laisser la porte ouverte
Et nous fâcher avecques notre perte.
Cela me plaît, dira quelque craintive ;
Mais s'il me vient de volonté naïve
Désir d'aimer homme ailleurs engagé,
N'aurai-je point le coeur découragé ?
N'aurai-je point tourments innumérables ?
Y en a-t-il au monde de semblables ?
Répondons-lui que toute femme sage
De son amour prend conseil et présage,
Qu'elle s'enquiert à soi-même de soi,
De quelle force et constance est sa foi.
Si un long temps lui pourrait faire injure,
Si de durer obstinément s'assure,
Sonde son coeur ; et, s'il est suffisant
De soutenir un fardeau si pesant
Comme est celui de sa persévérance,
Si jamais n'eut désir d'autre accointance,
Si tous les biens venant d'ailleurs refuse,
En s'excusant si un soupir l'accuse,
S' elle se sent si vivement atteinte,
Qu'elle ait ensemble et hardiesse et crainte,
Ne mette point en longueur son affaire ;
Je ne vois point par quoi elle diffère.
Ce continu désir et obstiné
Montre l'ami lui être destiné
Qu'il ne pourrait, s'il voulait, s'exempter
De la servir et de la contenter.
Pour vous donner de cela certitude,
Pensez qu'amour vient de similitude
Tant d'espérits que de complexions :
Si j'ai porté fermes affections
A mon ami, pour ce que lui ressemble,
Il faut qu'il ait (au moins il me le semble)
Lui ressemblant, à moi quelque semblance
Qui le contraigne à une bienveillance.
Pareille en lui, comme en moi, je la sens ;
Pourrait-il bien entrer en aucun sens,
Que volonté fut d'aucune approchante,
Qui en serait lointaine et différente ?
Certes, nenni. Dames, je vous promets
Qu'il n'adviendra, et il n'advint jamais
Que vrai amour n'ait été réciproque.
Ne craignez point, les fois qu'il vous provoque,
D'entrer en tant horrible et dur service.
Faites à lui de vos coeurs sacrifice,
Laissez-lui en tout le gouvernement,
Et s'il ne fait bien et heureusement
Vivre chacune en ses amours contente,
Ne m'appelez jamais parfaite amante.