La Naissance de la Rose

 
À Leconte de Lisle.

I

Cypris au sein neigeux était née, et les flots
Qui se pâment avec d’ineffables sanglots
Sous le regard ami des étoiles flottantes,
Adoraient de ses pieds les blancheurs éclatantes.
Pensive, elle rêvait sur son berceau houleux ;
L’azur était resté fixé dans ses yeux bleus,
L’écume rougissait près d’elle, épouvantée
Et fière en même temps de l’avoir enfantée !
L’Aurore s’oubliait ravie au fond des cieux ;
Elle arrêtait le char aux mobiles essieux
Que dirige Apollon, et, tremblante, éperdue,
Montrait au jeune dieu, dans l’humide étendue,
L’immortelle beauté qui leur apparaissait !
Tout bruit terrestre ou bien céleste se taisait ;
Le parfum pénétrant et doux de l’ambroisie
Nageait dans l’air autour de la forme choisie.
Les Sirènes laissaient ruisseler sur leurs seins
Leurs beaux cheveux mouillés, et de joyeux essaims
D’enfants nus, qui tenaient des torches enflammées,
Jouaient parmi l’odeur des tresses embaumées,
Et la grande Vénus, debout et promenant
Son œil impérieux sur l’Éther rayonnant
Qui se mêlait au loin à la vague marine,
Croisait avec douceur ses mains sur sa poitrine.

Alors, ce fut un chant d’allégresse et d’amour
Que les échos charmés, mille fois en ce jour,
Répétèrent aux bois, aux grottes, aux fontaines,
Et ceux qui pressentaient les angoisses certaines
Et les soucis amers qui dévastent le cœur,
Fous d’extase, mourants, s’écrièrent en chœur,
Sachant bien qu’ils seraient les victimes promises
A l’orgueil meurtrier des vierges insoumises :

« O Cypris ! ô déesse invincible aux traits prompts !
» Ange des longs tourments ! salut ! Nous t’adorons ! »

II

Mais, pendant que la mer et le ciel, où frissonne
L’abondante lumière, admiraient l’amazone
Dont les cheveux ardents, tout emperlés encor,
Silencieusement laissaient flotter leur or,
La Terre, pour fêter à son tour la venue
De celle dont la grâce irrésistible et nue
Eblouissait le monde et commandait aux Dieux,
La Terre s’entr’ouvrit dans le jour radieux ;
Et les petites fleurs aux blanches collerettes,
Et le muguet des bois, les douces pâquerettes,
Et celles qui, fuyant l’éclat, cachent leurs fronts
Sous la mousse discrète, et les frais liserons,
La pervenche, l’œillet, même les frêles plantes
Dont le soleil d’été flétrit les tiges lentes,
Pâlirent ; un frisson universel courut :
La Rose triomphale et superbe apparut !

Alors, sous la ramure épaisse des grands chênes,
Le silence se fit jusqu’aux sources prochaines ;
On crut voir osciller la cime de l’Œta,
Et, triste, dans la nuit, le rossignol chanta !

Collection: 
1859

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