La Mort des Amazones

 
Pâles et merveilleux dans le parc enchanté
Où neigent sur les fleurs des vols clairs de colombes,
Les deux amants surgis de leurs lointaines tombes
S’enivrent de ciel calme et de sauvage été.

Extasiés de vivre et frissonnant encore
A cause de la nuit qui pesa sur leurs yeux,
Ils s’éveillent en des baisers silencieux
Et croient tous deux frôler de leurs lèvres l’aurore.

Puis, mal désenlacés parmi les lys tremblants,
Ils murmurent ainsi que des mots de prière
Leurs noms puissants : un nom de reine meurtrière,
Un nom de chef crié jadis aux soirs sanglants.

Akhilleus ! Hélène !... Le cortège des cygnes
Les guide vers la mer d’ombre bleue et d’or- brun.
Et le rivage et le vent du large et l’embrun
Ont pour eux des parfums de moissons et de vignes.

De grands aigles charmés leur apportent des cieux
Une offrande de fruits et de branches fleuries ;
Les ruches s’entr’ouvrant comme des nefs meurtries
Leur livrent doucement l’or des miels précieux.

La reine respirant des roses ténébreuses
Sourit parfois au souvenir des vains linceuls.
Et dans leur bon exil, victorieux et seuls,
Ils s’aiment à jamais au bord des mers heureuses.

 
Droites sur l’étrier, et nues,
Et brandissant l’arc de bois noir,
Les Amazones sont venues
Sur leurs chevaux couleur de soir.

Un choc d’armures et de lames
Sonne dans le pays dormant ;
Les lourds chevaux d’ombre et de flammes
Mordent les lys farouchement.

Incendiant les routes blanches
Sous leurs sabots miraculeux,
Ils épouvantent dans les branches
Les colombes et les paons bleus.

Des buccins jettent leurs fanfares
Au vent des vergers glorieux,
Et les grandes vierges barbares
Clament un pæan furieux.

Et leurs bouches ensanglantées,
Ouvertes aux chants éclatants,
Semblent les roses irritées
D’un haineux et rouge printemps.

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1888.

Collection: 
1890

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