La Mer

I

Entre les durs rochers qui bordent le ravin
J’ai vu monter au ciel l’éblouissante aurore ;
La face de la mer était d’un bleu divin.

D’une brume idéale enveloppée encore,
La mer ouvre son cœur, indomptable et charmant,
Au soleil matinal dont le feu la colore.

Elle sourit à son impérial amant,
Au héros casque d’or, qui s’enflamme pour elle ;
Elle sourit, candide et bleue, infiniment.

La Vierge a retrouvé sa grâce naturelle,
Ses yeux de pur amour et son calme enchanté,
Et dans l’azur profond j’entends la tourterelle.

Mais du tranquille abîme un soupir est monté.
La lumière pâlit et la brume s’allonge
Comme une robe d’ombre autour de la beauté.

Il a surgi sur l’eau des visages de songe
Lentement tout le ciel à la mer s’est uni,
Et voici se dresser le palais du mensonge.

II

Oh ! quelles îles d’or et quel pays béni
S’épanouissent tout là-bas, dans le mystère ?
Ne vois-le pas le grand chemin de l’infini ?

Au large resplendit le splendide parterre,
Le jardin sans pareil qui s’émaille, au matin,
D’éblouissantes fleurs qu’on ne voit pas sur terre.

Sur des flots de velours, de moire et de satin
Glisse nonchalamment la flotille des fées ;
Leurs rames que j’entends font un bruit argentin.

Elles s’en vont sur l’eau, d’algues vertes coiffées.
Elles vont. Leur gaité s’éparpille dans l’air,
L’odeur de leurs bouquets m’arrive par bouffées.

Plus loin, à l’horizon, les nymphes de la mer
Poussent de joyeux cris sur leurs cavales franches
Et jamais bataillon ne me parut si fer ;

Un flot de verts cheveux leur inonde les hanches,
Une lueur de brume illumine leurs yeux ;
Sur l’azur formidable, elles sont toutes blanches.

Et voici maintenant le rocher merveilleux
D’où, quand la nuit descend, Mary-Morgane chante
Aux matelots perdus son chant délicieux.

Sa voix de pur argent, sa voix qui les enchante
Monte comme un appel au ciel en floraison,
Douce, folle, ironique et quelquefois méchante.

Mais tout homme est bien pris de perdre la raison,
Quand, sous la lune claire, il a vu la sirène
De sa bouche de fleur lui tendre le poison ;

En sa grotte de nacre et d’azur elle est reine ;
Chacun de ses regards est un commandement,
Sa magie au profond du gouffre vous entraîne.

Et l’heure a tressailli du grand enchantement,
Une ville de rêve apparaît dans l’abîme,
Des cloches ont tinté mélancoliquement.

Lentement, lentement, quel fantôme s’anime ?
Kéris, ah ! c’est Kéris, l’impudique cité,
Kéris, qui dans la mort expie encor son crime !

III

Et puis rien… Par degrés, le jour s’est attristé,
Un vent tumultueux s’élève, et du ciel tombe
Sur la mer somnolente une morne clarté.

Où donc est maintenant l’aile de la colombe ?
Où donc les bleus vaisseaux avec leurs drapeaux blanc ?
On a le cœur serré comme autour d’une tombe.

Un cri de mort s’abat sur les récifs branlants,
Le flot sinistrement bat les roches meurtries,
Lugubre est, dans l’air froid, l’adieu des goélands ;

Et rien n’est demeuré des sublimes féeries
Qui se jouaient naguère en ce divin décor,
A la grâce du vent et des vagues fleuries.

L’oiseau miraculeux vient de prendre l’essor,
Il plane, il plane, et comme lui s’est envolée
La fée au clair visage avec ses cheveux d’or ;

Déjà s’est laissé choir sur la mer désolée
La nuit, lourde d’angoisse et grosse de sanglots ;
On n’entend que le bruit de la vague écroulée.

Le vent a redoublé de fureur, et les flots,
Plus courroucés toujours, escaladent la dune.
La douce Vierge ait en pitié les matelots !

IV

O mer, ô mer, ô mer, coureuse de fortune,
Chercheuse d’infini par delà les grands monts,
Toi que le soleil brûle et que fleurit la lune ;

Belle au front couronné de sombres goémons,
Nous savons le secret de la tendresse brève,
Et tes yeux sont pareils à ceux que nous aimons.

Tes vagues doucement viennent baiser la grève,
C’est toi la bonne hôtesse au souriant accueil,
La princesse idéale et la dame du Rêve.

Mais le havre tranquille est voisin de l’écueil,
Et sitôt qu’a soufflé le vent de ta colère,
La terre s’inquiète et tremble et prend le deuil.

Courtisane d’amour qui ne songeais qu’à plaire,
Quelle âme de douleur est en toi maintenant ?
Quel brouillard a soudain voilé ta face claire ?

Toi qui riais, joyeuse et libre, à tout venant,
Tu sombres dans la nuit, tu t’embrumes de larmes,
Plus même une lumière à ton front rayonnant.

Après l’instant béni, pourquoi ce vent d’alarmes ?
Je ne sais quel dégoût monte de ta beauté,
Un relent d’amertume est au fond de tes charmes.

Et notre cœur aussi, brusquement arrêté,
Se demande s’il rêve et quel fardeau l’oppresse ;
Notre rancœur se noie en ton immensité.

Puis tu deviens la sombre et terrible maîtresse
Qui, pâle, se redresse, et gronde, et brise tout ;
Une flamme a jailli de ta moine détresse.

Pourquoi pleurer ? N’es tu donc pas celle qui bout ?
Le feu damné, le feu d’enfer ? Ta male rage,
Cent meurtres consommés, n’est pas encore à bout.

Et tu grinces des dents comme sous un outrage.
C’est toi l’affreux récif droit en travers du port,
C’est toi l’horrible voix qui hurle dans l’orage.

Tu bondis, et les rocs croulent sous ton effort,
Le monde tout entier tremble de la secousse ;
La mort, la mort, la mort, à l’infini la mort ?…

O mer, ô folle mer, tu redeviendras douce,
Avant qu’il soit longtemps refleuriront tes yeux,
Tes yeux d’amour candide et que ’rien ne courrouce.

Après l’éclair tragique et l’assaut furieux,
Les voilà tout à coup pleins des choses qu’on aime ;
Ils vont se teindre encor de la couleur des cieux.

Et, tout émerveillés du sublime poème
Que murmure le flot au rayon matinal,
Jusque dans tes fureurs nous t’adorons quand même.

A côté de l’écueil a brillé le fanal,
Le vent frais qui se lève a balayé les brumes
Et ton charme demeure à jamais virginal.

Dormez sur l’eau tranquille, ô flottantes écumes,
Champs de la bleue immensité, fleurissez-vous,
Emportez nos ardeurs avec nos amertumes.

Une âme de fierté s’agite en vos remous,
Un chant d’espoir en sort, un chant qui nous enivre ;
L’âpre sel de la mer est infiniment doux.

Rien de vil, rien de laid. Oh ! comme il fait bon vivre !
Quelle candeur limpide a la nappe d’argent !
C’est un hiver tranquille, enguirlandé de givre.

O mer, reflète encor le grand ciel indulgent,
Fais toujours, gaie ou triste, ineffablement belle,
Une claire ceinture à l’univers changeant,

Trempe pour les combats le cœur qui se rebelle,
Rends-nous libres et fiers comme toi sans retour,
O divin réservoir de la vie éternelle,

Symbole trois fois saint de l’éternel amour !

Collection: 
1901

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