La Légende d’un peuple/Nos trois couleurs

 
Regarde, mon enfant, ce chiffon souverain
Qui mêle ― avec l’azur du firmament serein ―
Dans l’éclat radieux de son pli tricolore,
Aux rougeurs du couchant les blancheurs de l’aurore !

Ces trois couleurs, drapant de leurs pures clartés
Trois principes féconds dans un seul reflétés,
C’est, insigne éternel de toute indépendance,
― Chapeau bas, mon enfant ! ― le drapeau de la France !

Écoute ! ce drapeau n’a pas encor cent ans ;
Et, sur nuls bataillons aux panaches flottants,
Se ruant noir de poudre au milieu des mêlées ;
Sur nul rempart crachant les bombes par volées ;
À nul mât d’artimon secouant sous les cieux
Le pavillon vainqueur d’un peuple ambitieux ;
Sur la terre ou les flots, jamais l’âpre rafale,
― Non, jamais, même aux jours de clameur triomphale, ―
N’a déroulé de plis, aux yeux de l’univers,
Par des noms immortels plus noblement couverts !

Non, il n’a pas cent ans. Quand l’humanité sainte,
― Après avoir vidé plein sa coupe d’absinthe, ―
Dans le trouble orgueilleux de sa maternité,
Sentit naître en son flanc la vierge Liberté,
Comme un astre porteur de consolants présages,
Il monta souriant à l’horizon des âges.

Les peuples, gouvernés en troupeaux de moutons,
Vers le progrès divin s’avançaient à tâtons ;
La France monarchique, un soufflet sur la joue,
Ayant vu sa grandeur s’écrouler dans la boue,
Les bras levés au ciel, attendait en chemin
Le solennel moment du grand réveil humain.

Le labarum nouveau dissipa les ténèbres.

Le vieux monde frémit jusque dans ses vertèbres.
Écrasant du talon tous les nids de vautours,
Balayant d’un seul coup la Bastille et ses tours,
Le peuple se leva sombre et vengeur ; la France,
Poussant aux quatre vents son cri de délivrance,
Ébranla pour toujours les trônes délabrés
Du retentissement des vieux pouvoirs sombrés !

Épouvantés, les rois vont se liguer contre elle.
Ne crains rien, mon enfant, la France est immortelle !
Vois défiler là-bas tous ces joyeux conscrits,
Enfants de leur village ou gamins de Paris,
Sans vivres, sans souliers, chantant la Marseillaise ;
Ils vont des temps nouveaux proclamer la genèse,
Et, sous le drapeau neuf, symbole de leurs droits,
Sauver la République en bousculant les rois !
Puis commence, géante, incroyable, inouïe,
Se déroulant aux yeux de l’Europe éblouie,
L’héroïque légende où l’univers entier
Au sublime haillon dut demander quartier.
Oui, ce haillon troué, mais que la gloire inonde,
A passé, mon enfant, sur le ventre du monde !

Incline-toi devant ses lambeaux vénérés !
Avec tout ton amour baise ses plis sacrés ;
Car ce drapeau sans peur, digne des chants d’Homère,
Ce drapeau, mon enfant, c’est celui de ta mère !

Il fut vaincu, c’est vrai ; plus tard la trahison
Déshonora son aigle et souilla son blason ;
Mais lui, sans tache même au jour de la défaite,
Toujours fier, toujours pur, il brille encore au faîte
De tout ce que le siècle a produit de plus grand ;
C’est l’emblème sacré, c’est le témoin flagrant
Des conquêtes du droit contre la tyrannie.

Ô drapeau ! si jamais un Français te renie,
Que dis-je ? si la France, oubliant tes splendeurs,
Sous un autre guidon cherchait d’autres grandeurs,
Nous, ses enfants lointains, nous l’aimerions encore ;
Mais, fidèles à toi, glorieux tricolore,
Nous te clouerions au mât comme un cher souvenir
Que nos vieillards viendraient saluer et bénir,
En tournant leurs regards vers un temps plus prospère.
Et toi, mon fils, toujours Français comme ton père,
Quand je ne serai plus, que tu seras plus vieux,
Oh ! ne laisse jamais le lâche ou l’envieux
Flétrir ce défenseur de toute cause juste.
Et puis, ô mon enfant, si la bannière auguste
Devait cesser de luire au soleil canadien,
Sois son appui suprême et son dernier gardien !

Collection: 
1859

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