La Légende d’un peuple/Le Gibet de Riel

 
Donc tout est consommé. Dans notre fière époque,
Quand de tous les côtés s’ébranle et se disloque
L’enchevêtrement noir des préjugés boiteux ;
Quand des anciennes lois les vieux codes honteux,
Devant l’éclat vainqueur des lumières modernes,
Éteignent un à un leurs fumeuses lanternes ;
Quand on voit tous les jours se dissoudre sans bruit
Quelque étai vermoulu d’un régime détruit ;
Quand de l’humanité la caravane en marche
Voit poindre à l’horizon la colombe de l’arche,
Apportant dans son bec le rameau fraternel ;
Quand, secouant partout le joug originel
De l’antique union des erreurs et des haines,
Les peuples, l’œil tourné vers les aubes prochaines,
Semblent se dire enfin, dans un commun accord,
Qu’il est un droit plus saint que celui du plus fort ;
Oui, dans ce siècle où tout s’élève et s’émancipe,
Chez nous, au plus flagrant mépris de tout principe
De clémence, d’amour, de paix et d’équité,
À la race du monde et de la liberté,
Sur le classique sol de toute indépendance,
Pris de férocité, gonflés d’outrecuidance,
On a vu des guerriers et des hommes d’État,
Juges, bourreaux, unis dans un même attentat,
Au-dessous d’un gibet qu’un peuple entier renie,
Groupés pour savourer un râle d’agonie !

Civilisation, admirez !... Ou plutôt
Contemplez, Patagon, Maoris, Hottentot !
Manksars, qui tatouez de sang votre visage !
Cafres, qui dévorez vos enfants en bas âge !
Approchez, Turajos, Tamboukis, Moluquois !
Venez, restes épars des cruels Iroquois,
Sioux, aux flancs de qui pendent des chevelures,
Fidjiens, qui jetez du sel sur les brûlures
Dont vous déchiquetez votre ennemi vivant,
Voici pour vos regards un spectacle émouvant !
Venez tous, Papouas, Apaches et Comanches ;
Regardez bien ces blancs qui retroussent leurs manches ;
Et voyez ce qu’on fait quand on est baptisé,
Qu’on est bon orangiste, et bien civilisé !

Collection: 
1859

More from Poet

 
Ô terre des aïeux ! ô sol de la patrie !
Toi que mon cœur aimait avec idolâtrie,
Me faudra-t-il mourir sans pouvoir te venger !
Hélas ! oui ; pour l’exil, je pars, l’âme souffrante,
Et, giaour errant, je vais planter ma tente
Sous le soleil de lâ...

 
Moi, mes enfants, j’étais un patriote, un vrai !
Je n’en disconviens pas ; et tant que je vivrai,
L’on ne me verra point m’en vanter à confesse...
Je sais bien qu’aujourd’hui maint des nôtres professe
De trouver insensé ce que nous fîmes là.
Point d’armes,...

 
C’était un lieu charmant, une roche isolée,
Seule, perdue au loin dans la bruyère eu fleur ;
La ronce y rougissait, et le merle siffleur
Y jetait les éclats de sa note perlée.

C’était un lieu charmant. Là, quand les feux du soir
Empourpraient l’horizon d’...

 
O soir charmant ! La nuit aux voix mystérieuses
Nous caressait tous trois de ses molles clartés ;
Et nous contemplions, moi rêveur, vous rieuses,
De la lune et des flots les magiques beautés.

Le steamer qu’emportait la roue au vol sonore,
Eparpillait au...

 
Dix printemps n’avaient pas encore
Fleuri sur son front pâle et doux ;
De ses grands yeux fixés sur nous
S’échappaient des rayons d’aurore.

L’enfance avec tous ses parfums,
Rayonnante comme un symbole,
Enveloppait d’une auréole,
Les ondes de...