Dans la cité hagarde,
Où la réclame aboie,
Le chœur des bateleurs
S’installe et crie au ciel « Regarde
Nous soulevons, à bras tendus, la joie ! »
Et leur baraque ostentatoire et colossale
S’érige, au carrefour des cent routes paradoxales.
— La joie hélas ! est au delà de l’âme humaine :
Les mains les plus hautes n’ont arraché que plumes
À cet oiseau qui vole, en tourbillons d’écumes,
Avec son ombre seule, à fleur de nos domaines.
La joie, elle est là-bas, la ville en or bougeant
Que les marins des anciens âges,
Le soir, ont vu monter et s’exalter
Et s’effacer, de plage en plage,
Vers les nuages.
Ils sont là tous, qui crient et qui aboient :
« Nous soulevons, à bras tendus, la joie ! »
— Pourtant la peine en nous double la force,
L’arbre ne vit que dans sa mâle écorce
Et vibre au vent, des pieds jusqu’à la tête.
Le vieil hiver le sacre de tempêtes
Et le grandit, immense et nu,
Dans quelque plaine au loin de pays inconnu.
Tristesse, affres, sanglots, martyre,
Spasmes ardents et merveilleuses voix,
Au fond de la torture, on voit des yeux sourire,
Nous sommes tous des Christs qui embrassons nos croix.
Hélas ! vivre et souffrir sont un.
Mais se mêler, comme d’aucuns,
À l’infini du monde,
À son mystère, à ses conflits ;
Nourrir, avec ferveur, les angoisses profondes
Dont s’effare l’instinct, mais dont vibre l’esprit ?
Mais, à travers des mers de lassitudes,
Plonger pour arracher aux solitudes
Océanes, leurs fleurs,
Qui donc ne sentirait son cœur,
Qui donc ne sentirait son âme élucidée
S’illuminer à cette idée ?
Ô la haute existence infrangible et tragique
Jamais à bout de son effort,
Qui se replie et se cramponne et qui se tord
Sous la voracité des destins héroïques !
La force la plus belle est la force qui pleure
Et qui reste tenace et marche d’un pas droit,
Dans sa propre douleur, qu’elle conçoit
Sublime et nécessaire, à chaque appel de l’heure.
Il faut vouloir l’épreuve et non la gloire ;
Casque fermé, mais pennon haut,
Prendre chaque bonheur d’assaut,
Par à travers une victoire.
Partir les bras tendus vers n’importe où,
Jeter son âme aux orages qui passent,
Sous la croix d’or des éclairs fous
Qui balafrent l’espace.
Aimer le sort, jusqu’en ses rages,
Avoir la foi toute en soi-même,
Fût on l’épave, où se démène
La haine en rut des vieux naufrages.
Et si tout sombre et si tout casse enfin,
Rester celui de la lutte obstinée,
Pauvre et vaincu, mais la tête acharnée
Quand même — et claire encor de l’effort vain.
La joie ? — Elle est au loin et qu’elle y reste
Et son pâle reflet et sa timide fête ;
La joie à tout jamais dépossédée,
Par la banale idée
Que les hommes s’en sont faite.