La Cigale

 
L'air pèse et brûle ; il n'est dans l'herbe et les épis
Bruit d'ailes ni murmures ;
Même les froids lézards se cachent assoupis
Au fond des gerbes mûres.

La feuille au loin se tait dans l'immobilité,
Pas un oiseau ne vole ;
La terre a vu tarir dans les bras de l'été
Sa sève et sa parole.

De la plaine embrasée où sont les habitants ?
La vie est-elle encore ?...
Oui, la nature veille, et, joyeux, je t'entends,
O cigale sonore !

Ton cri sort des sillons brûlants et crevassés,
De l'orme aux branches sèches,
Parmi les chauds rayons qu'un ciel rouge a lancés
Aigus comme des flèches,

C'est toi qu'un doux vieillard, des voluptés épris,
Disait aux dieux pareille ;
Et l'homme de nos jours te ferme avec mépris
Son cœur et son oreille !

En cercle les héros t'écoutaient autrefois
Comme un hymne dorique.
Qui donc s'est transformé de l'homme ou de ta voix,
O chanteuse homérique ?

Non, tu n'as rien changé, nature, à tes accents,
Ta musique est la même ;
Mais pour trouver la clef de tes accords puissants,
Il faut d'abord qu'on t'aime.

Poète, je le sais, nul n'est vil à mes yeux
Des mille aspects de l'être ;
Tout cri révèle une âme, et mon cœur sérieux
L'accueille et s'en pénètre.

Viens, cigale ma sœur, et chante près de moi ;
Nui homme sacrilège
N'oserait, où je suis, porter la main sur toi ;
La muse te protège.

Moi, je me dis impur, si dans l'ombre en marchant
J'écrase un frêle insecte ;
Au chœur universel tout ce qui prête un chant,
Il faut qu'on le respecte :

Car la terre gémit, car Dieu même est chagrin
D'une note étouffée,
Et d'une voix qui manque à l'hymne souverain
Dont l'homme est coryphée.

Collection: 
1832

More from Poet

  • Pourquoi, vous qui rêvez d'unions éternelles,
    Maudissez-vous la mort ?
    Est-ce bien moi qui romps des âmes fraternelles
    L'indissoluble accord ?

    N'est-ce donc pas la vie aux querelles jalouses,
    Aux caprices moqueurs,
    Qui vient, comme la feuille à travers ces...

  • Voix des torrents, des mers, dominant toute voix,
    Pins au large murmure.
    Vous ne dites pas tout, grandes eaux et grands bois,
    Ce que sent la nature.

    Vous n'exhalez pas seuls, ô vastes instruments,
    Ses accords gais ou mornes ;
    Vous ne faites pas seuls, en vos...

  • Déjà mille boutons rougissants et gonflés,
    Et mille fleurs d'ivoire,
    Forment de longs rubans et des noeuds étoilés
    Sur votre écorce noire,

    Jeune branche ! et pourtant sous son linceul neigeux,
    Dans la brume incolore,
    Entre l'azur du ciel et nos sillons...

  • I

    Quand l'homme te frappa de sa lâche cognée,
    Ô roi qu'hier le mont portait avec orgueil,
    Mon âme, au premier coup, retentit indignée,
    Et dans la forêt sainte il se fit un grand deuil.

    Un murmure éclata sous ses ombres paisibles ;
    J'entendis des sanglots et...

  • Choeur des Alpes

    Vois ces vierges, là-haut, plus blanches que les cygnes,
    Assises dans l'azur sur les gradins des cieux !
    Viens ! nous invitons l'âme à des fêtes insignes,
    Nous, les Alpes, veillant entre l'homme et les dieux.

    Des amants indiscrets l'abîme nous...