Ceux qui tiennent le soc, la truelle ou la lime,
Sont plus heureux que vous, enfants de l’art sublime !
Chaque jour les vient secourir
Dans leurs quotidiennes misères ;
Mais vous, les travailleurs pensifs aux mains légères,
Vos ouvrages vous font mourir.
L’austère paysan laboure pour les autres,
Et ses rudes travaux sont pires que les vôtres ;
Mais il retient, pour se nourrir,
Sa part des gerbes étrangères ;
Vous qui chantez, tressant des guirlandes légères,
Les moissons vous laissent mourir.
Le rouge forgeron, dans la nuit de sa forge,
Sue au brasier brûlant qui lui sèche la gorge ;
Mais il boit, sans les voir tarir,
Les petits vins dans les gros verres ;
Et vous qui ciselez l’or des coupes légères,
Les celliers vous laissent mourir.
Le pâle tisserand, courbé devant ses toiles,
Ne contemple jamais l’azur ni les étoiles ;
Mais il parvient à se couvrir,
La froidure ne l’atteint guères ;
Vous qui tramez le rêve en dentelles légères,
Les longs hivers vous font mourir.
L’audacieux maçon qui, d’étage en étage,
Suspend sa vie au mince et frêle échafaudage
A bien des dangers à courir ;
Mais ses fils auront des chaumières ;
Vous qui dressez vers Dieu des échelles légères,
Sans foyer vous devez mourir.
Tous vaincus, mais en paix avec la destinée,
Aux approches du soir, la tâche terminée,
Reviennent aimer sans souffrir
Près des robustes ménagères ;
Vous qui poursuivez l’âme aux caresses légères,
Les tendresses vous font mourir.