L’humble vieille qui se désole
Dit, gémissant chaque parole :
« Contr’ le sort j’n’ai plus d’résistance.
Que l’bon Dieu m’appell’ donc à lui !
La tomb’ s’ra jamais que d’la nuit
Ni plus ni moins q’mon existence.
Mais la fille s’écrie, essuyant une larme :
Parlez pas d’ça ! J’vas dire un’ bell’ complaint’ d’aut’fois, »
Et, quenouille à la taille, un fuseau dans les doigts,
Exhale de son cœur la musique du charme.
La vieille aveugle, assise au seuil de sa chaumière,
Écoute avidement la bergère chanter,
Au son de cette voix semblant les enchanter
On dirait que ses yeux retrouvent la lumière.
Tour à tour elle rit, parle, soupire et pleure,
Étend ses maigres doigts d’un geste de désir
Vers quelque objet pensé qu’elle ne peut saisir,
Ou, comme extasiée, immobile demeure.
Et, lorsque la bergère a fini sa chanson,
Elle lui dit : « Merci ! tu m’as rendu l’frisson,
La couleur, et l’bruit du feuillage,
Tu m’as fait r’voir l’eau claire et l’beau soleil luisant,
Mon enfanc’, ma jeuness’, mes amours ! À présent
J’peux ben faire le grand voyage. »