L’Atlantide

Loin de la multitude où fleurit le mensonge
Puisque l’âme s’épure et s’exalte en rêvant,
Au gré du souvenir vogue, ô mon Âme, et songe :
Songe à la cendre humaine éparse dans le vent ;

Songe aux crânes heurtés par le soc des charrues ;
Aux débris du passé dans l’inconnu flottant :
Car des mondes sont morts, des cités disparues,
Où la vie eut son heure et l’amour son instant !

Aux siècles primitifs, une île, immense et belle,
Nourrice jeune encor d’un peuple de géants,
Livrait à ses fils nus sa féconde mamelle,
Et sa hanche robuste au choc des océans.

Cette terre avait nom l’Atlantide. — Des villes
Y florissaient alors, superbes, par milliers,
Avec leurs parthénons et leurs jardins fertiles,
Et leurs palais de marbre aux antiques piliers.

Aqueducs ! Monuments massifs, aux colonnades
De jaspe, défendus par de grands léopards!
Coupoles de granit ! Innombrables arcades
Brodant de leur dentelle épaisse les remparts ! —

L’on eût dit des forêts de pierre. — Les bois vierges
Reflétaient leur verdure aux lacs bleus sans roseaux,
Et l’âme des jasmins et des lys, sur les berges,
Se mariait, légère, à des chansons d’oiseaux !

Un cantique montait d’espérance et de joie
Vers Jupiter très bon, très auguste et très grand :
L’homme tendait les mains à l’azur qui flamboie,
Et le fleuve apaisé priait — en murmurant !...

Mais ce monde, marqué du sceau de la colère,
Devait s’anéantir, sans que rien en restât
Que des îlots perdus sur l’onde tumulaire,
— Seuls vestiges épars où notre œil s’arrêtât !

On entendit rugir les forges souterraines,
Tout le sol s’effondra, secoué brusquement...
Et la mer fit rouler ses vagues souveraines
Sur la plaintive horreur de cet écroulement !

Cependant, par delà ces monstrueux décombres
Que, sous mille pieds d’eau, tu vois se dessiner,
O mon Âme, entends-tu ?... Du fond des lointains sombres,
De prophétiques Voix semblent vaticiner :

— « Ainsi les continents, les villes séculaires,
« Les grands monts hérissés de sapins et d’orgueil,
« L’homme et ses passions, le monde et ses colères,
« — Cadavres disloqués et mûrs pour le cercueil,

« Gigantesques amas sans nom, épaves mornes —
« S’engloutiront un jour, (tout étant accompli,)
« Sous les flots ténébreux d’une autre mer sans bornes
« Et plus profonde encor — qui s’appelle l’OUBLI !

« Alors, exécutant la suprême sentence,
« L’ombre, comme un déluge, envahira les cieux ;
« Et tout bruit s’éteindra, comme toute existence,
« Dans le néant obscur, vaste et silencieux. » —

Collection: 
1885

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