L’Amour

Aux fleurs rouges qui pavoisent l’espace
Et s’exaltent, dans l’or des jours,
Comme un vent fou le torturant amour
S’enlace.

Oh le charme de sa douleur
Et les lances de sa douleur,
Violentes, au fond du cœur !

Oh ! son ardeur, malgré sa vastitude,
Et son grand don de plénitude

Et son désir immense de la vie
Qui soudain clame et qui bondit
Si fort, au delà de la mort !

Je suis venu vers toi, de mon pays lointain,
Avec mon âme et mon destin,
Pour te donner et te verser
Tout ce que j’ai sauvé de mon passé.

Et je t’aime d’autant que je te fais du mal
Et que je souffre aussi, ma tant martyrisée,
Par tes regards et tes pensées.

Ô nos cœurs mutuels dont nous sommes la proie,
Sont-ils pauvres et violents,
Avec leurs cris soudains et pantelants !

On part, ailes dardées,
Les vœux unis, mais les idées
Inaccordées.

On respire des fleurs d’ardeur immense
Dont le balancement, au vent fugace, encense
L’orgueil des corps et leur démence.

On se pille les chairs, abandonnées
En des nuits d’or et d’hyménées,
Avec des mains hallucinées.

On aborde de grandes plages,
Où les poings fous des flux et des orages
Cassent l’aurore et ses mirages.

On s’espère : immortels ; on se crie : invincibles
Et l’on fixe toujours plus loin la cible
Du but suprême et impossible.

On boit sa soif ; on mord sa faim ;
On s’exténue, on se ranime, on se dévore
Et l’on se tue et l’on se plaint
Et l’on se hait — mais on s’attire encore.

Ô tes beaux yeux si doux et si funestes,
Tes yeux irresponsables de ma mort,
Tes yeux si clairs et qui s’attestent
Ceux que darde, vers moi, le sort.

Ô leur brûlante et malfaisante joie,
Sous la froideur soudain pâle du front,

Ou bien leur si grande misère
Tels soirs, quand, à genoux, nous demandons pardon
L’un à l’autre, d’être sur terre.

Pourtant, comme l’amour nous fut triomphe et reconfort ;
Comme nous nous sommes grandis quand même,
Sous l’exaltant et douloureux baptême
Dont son ardeur fut le flot d’or.

Comme notre âme et notre torse
Se sont haussés et déployés en force
Pour absorber le merveilleux effroi
Des lacs d’amour qu’on sent s’illimiter en soi.

Comme notre être a recréé sa conscience,
En ces conflits d’émois de cris et de démences ;
Et comme il a, vers l’ombre et vers la nuit, jeté
Le ramas noir des vieux préceptes dévastés.

Et qu’importe se perdre en des tortures
Et se tant déchirer et s’étreindre pourtant
Et raviver toujours l’effrayante aventure,
Si c’est, pour s’éprouver plus fortement battant,
Au rythme haletant,
Qui fait volter et fermenter le sang
Par à travers l’éternité de la nature !

Collection: 
1899

More from Poet

  • Le corps ployé sur ma fenêtre,
    Les nerfs vibrants et sonores de bruit,
    J'écoute avec ma fièvre et j'absorbe, en mon être,
    Les tonnerres des trains qui traversent la nuit.
    Ils sont un incendie en fuite dans le vide.
    Leur vacarme de fer, sur les plaques des ponts,...

  • Lorsque la pourpre et l'or d'arbre en arbre festonnent
    Les feuillages lassés de soleil irritant,
    Sous la futaie, au ras du sol, rampe et s'étend
    Le lierre humide et bleu dans les couches d'automne.

    Il s'y tasse comme une épargne ; il se recueille
    Au coeur de la...

  • D'énormes espaliers tendaient des rameaux longs
    Où les fruits allumaient leur chair et leur pléthore,
    Pareils, dans la verdure, à ces rouges ballons
    Qu'on voit flamber les nuits de kermesse sonore.

    Pendant vingt ans, malgré l'hiver et ses grêlons,
    Malgré les gels...

  • Les horizons cuivrés des suprêmes automnes
    Meurent là-bas, au loin, dans un carnage d'or.
    Où sont-ils les héros des ballades teutonnes
    Qui cornaient, par les bois, les marches de la Mort ?

    Ils passaient par les monts, les rivières, les havres,
    Les burgs - et...

  • Oh ! la maison perdue, au fond du vieil hiver,
    Dans les dunes de Flandre et les vents de la mer.

    Une lampe de cuivre éclaire un coin de chambre ;
    Et c'est le soir, et c'est la nuit, et c'est novembre.

    Dès quatre heures, on a fermé les lourds volets ;
    Le mur est...