Un bon curé de la Corrèze
Vivait, content de son destin,
Quand l’évêque du diocèse
Vint le surprendre un beau matin.
Le prélat fit bonne figure
Et lui dit : « Mon fils, aujourd’hui,
« Je déjeune et dîne à la cure,
« Et j’espère y passer la nuit ».
Sur le champ, Monseigneur l’évêque
De visiter — c’était son droit —
Le salon, la bibliothèque
Et, même, le petit endroit.
Je peux, sans nulle impertinence
Et sans paraître un peu léger,
Vous dire que Son Eminence
Préféra la salle à manger.
Des crus de nos célèbres vignes,
Une dorade, un chapon fin,
Eurent l’honneur des plus insignes
D’apaiser sa soif et sa faim.
Monseigneur vanta la cuisine,
Puis, geste en situation,
Après une bénédictine,
Donna sa bénédiction.
Puis il dit, avec bienveillance :
« Pour être, ce soir, plus dispos
Et, par crainte de défaillance,
Je vais prendre un peu de repos.
Je ne veux déranger personne,
Reposez de votre côté,
Le lit de la chambre de bonne
Suffit à mon humilité ».
— Las ! ma bonne n’a pas de chambre,
Dit le curé, plein d’embarras,
Et, de Janvier jusqu’à Décembre,
Nous dormons dans les mêmes draps.
Le prélat, devenu garance,
S’écria, fort sévèrement :
« Que faites-vous, en l’occurrence,
Du neuvième commandement ? ».
— Pour ne pas passer la nuit blanche,
Dit le curé, baissant les yeux,
J’ai fait installer une planche
Qui partage mon lit en deux.
Mais, hélas ! la chair nous commande,
Quand l’un de nous deux est tenté,
Il paie, à l’autre, un franc d’amende,
S’il passe de l’autre côté
— Ça, c’est vrai, dit la bonne Estelle,
Puis, en le lorgnant en dessous,
À propos d’amende, fit-elle,
Monsieur l’abbé me doit cent sous !