L’Absent

 
À M. F. Barrière.

LE FILS.

Mère, te souvient-il que nos vieux sapins verts
Berçaient au vent du nord leurs grands festons de neige
Quand mon père est parti (voilà bien des hivers !)
Pour les pays lointains ? Bientôt l’embrasse rai- je ?

LA MÈRE.

Je l’ignore, mon fils.

LE FILS.

                                           Mère, à nous pense-t-il,
Ainsi que nous à lui ?... Pourquoi ces longs voyages ?
Voit-il sous d’autres deux de plus beaux paysages,
De plus riches soleils ?...

LA MÈRE.

                                                Ton père est en exil...

Au pays où l’on parle une langue étrangère,
Il voit de beaux enfants qui ne sont pas à lui ;
Il n’a pas un ami, pas de sœur, pas de frère. —
Il monte chaque soir à l’escalier d’autrui.

À son foyer jamais personne qui l’attende !
Il ouvre sa fenêtre, il écoute la mer,
Et regarde en pleurant son immense désert...
Ah ! dans son cœur alors la solitude est grande.

LE FILS.

Et n’espère-t-il pas être un jour consolé ?

LA MÈRE.

L’espérance meurt vite au cœur d’un exilé.

LE FILS.

Ma mère, est-ce pourquoi, triste comme les veuves,
Tu ne mets plus jamais tes belles robes neuves,

Et tu ne chausses plus tes souliers de satin ?
Où sont tes bracelets, tes jupes à dentelles ?
Tu ne vas plus au bal, toi belle entre les belles,
Et tu veilles bien tard près d’un feu qui s’éteint.

LA MÈRE.

Ah ! si Dieu veut qu’un jour le pauvre absent revienne,
Qu’il trouve ici l’enfant sans que la mère y soit,
Tu diras que jamais d’autre main que la sienne
N’a touché l’anneau d’or qu’il a mis à mon doigt.

Collection: 
1842

More from Poet

  • À Léo Joubert.

    Là-bas, vers l'horizon du frais pays herbeux
    Où la rivière, lente et comme désoeuvrée,
    Laisse boire à son gué de longs troupeaux de boeufs,
    Une grande bataille autrefois fut livrée.

    C'était, comme aujourd'hui, par un ciel de printemps.
    Dans ce...

  • À Mademoiselle Marguerite Coutanseau.

    La neige tombe en paix sur Paris qui sommeille,
    De sa robe d'hiver à minuit s'affublant.
    Quand la ville surprise au grand jour se réveille,
    Fins clochers, dômes ronds, palais vieux, tout est blanc.

    Moins rudes sont les froids...

  •  
    Il est de noirs îlots, battus par la tempête,
    Qui n’ont pas d’arbre vert, qui n’ont pas une fleur.
    Sur des pics désolés souffle un vent de malheur.
    Là, pour faire son nid, pas d’oiseau qui s’arrête.
    La mer, rien que la mer, et sa grande rumeur...

    Le froid...

  •  
    À M. Alfred Guérard.

    Le désœuvré qui flâne aux ventes de l’encan
    Voit encore exhiber de ces vieilles guitares
    Qui chantèrent l’amour autrefois... Dieu sait quand !...
    Les chevilles s’en vont et les cordes sont rares.

    On aperçoit le cuivre aux...

  •  

    I

    Le sourire est en fleur sur les lèvres des belles,
    Dans la saison d’avril et des robes nouvelles.—
    Salut, ô rubans clairs, guimpes et cols brodés,
    Bonnets aériens !… toute la panoplie
    Révélant le bon goût d’une femme accomplie...