Le temps n’a plus d’aîles pour moi ;
Ce vieillard, à pas lents s’avance :
Mes jours s’envoloient près de toi ;
Ils se traînent dans ton absence.
Le soleil ralentit son cours :
Je vois sans cesse la journée,
Où tu partis environnée
Par le cortège des amours.
Les uns, veillant à la portière,
Baissoient les stors officieux,
Pour intercepter la lumière
Étincelante au haut des cieux :
D’autres, à tes ordres fidèles,
Le front serein, l’oeil animé,
Pour rafraîchir l’air enflammé,
Redoubloient le vent de leurs aîles.
Devançant l’essain qui te suit,
D’autres, en couriers plus agiles,
Vont reconnoître le réduit,
Et l’alcove, aux contours tranquiles,
Qu’ils ont destinés à ta nuit :
Moi je meurs dans l’inquiétude ;
Et, l’amour plaintif excepté,
Pas un, Thaïs, ne m’est resté,
Pour consoler ma solitude.
Je ressemble au débile oiseau
Que l’on a privé de sa mère ;
Il soupire sur l’arbrisseau
Qui, près d’elle, avoit su lui plaire ;
Errant de bruière en bruière,
Il fuit les lieux de son berceau :
De même, rien ne peut distraire
Les longs ennuis de ton amant :
Formé-je un voeu ? Dans le moment,
Il est suivi d’un voeu contraire.
Quelquefois un folâtre enfant
Au globe de feu qui l’éclaire
Oppose un verre transparent :
À mesure que son caprice
Le fait vaciller dans sa main ;
Les rayons réfléchis soudain,
Grace à ce mobile artifice,
Frappent les murs de ce palais,
Vont se jouer sur ces vîtrages,
Promènent des lueurs volages
Sur la cime de ces bosquets :
Portés de surface en surface,
Prompts à descendre, à remonter,
Leur empreinte brille et s’efface
Sans que rien la puisse arrêter :
Voilà mon coeur ou son image.
Toi seule fixois mes desirs :
Je suis poussé comme un nuage,
Et j’ai perdu tous mes plaisirs.
Ce n’est plus pour moi que la terre
S’orne de festons verdoyans ;
Que la musette solitaire
Gémit sous les rameaux naissans ;
Que des bergers la troupe active
Se groupe au penchant des coteaux ;
Qu’enfin de limpides ruisseaux
Roulent une onde fugitive
Sur le gazon qui les captive,
Et peint son émail dans leurs flots.
Loin de toi la nature expire ;
Les jeux désertent ce vallon :
Le souffle léger du zéphire
Pour moi se change en aquilon :
À la grotte la plus secrette
Je cherche en vain quelques appas ;
Le printemps fleurit sur tes pas ;
Il n’est plus où l’on te regrette...
Ah ! Que fais-tu dans ce moment ?
Loin du tumulte où l’on t’engage,
T’enfonces-tu dans un bocage,
Pour y songer à ton amant ;
Que l’air siffle, que les vents grondent,
Je ne vois que toi sous les cieux :
Si l’absence interrompt nos noeuds,
Qu’au moins nos soupirs se répondent.
Que dis-je ? à l’heure où je t’écris,
Peut-être un rival, un parjure,
Te fait oublier ! ... j’en frémis,
Un tel soupçon est une injure :
Sois fidèle, et tu m’en punis.
Il est vrai : tout me fait ombrage ;
L’oiseau qui vole à tes côtés ;
L’ormeau qui t’offre son feuillage ;
L’onde qui baigne tes beautés,
La glace où se peint leur image ;
Et même, excuse un tel aveu,
Quoique ton serin parle peu,
Je suis jaloux de son ramage.
Mais, chassons ces vaines frayeurs :
J’ai revu la retraite sombre
Qui, dans le secret de son ombre,
Voila tes premières faveurs :
L’amour y scella nos tendresses ;
J’y viens rêver à mes douleurs :
L’arbre témoin de mes caresses
Voit à ses pieds couler mes pleurs :
Je baise le gazon propice
Dont tes charmes ont approché,
Le sable où tes pas ont touché,
Et la verdure protectrice
Sous qui mon bonheur fut caché.
C’est moi-même qui le cultive,
Le myrte à jamais fortuné,
Le myrte que tu m’as donné
Avant de quitter cette rive,
Sous mes yeux il s’épanouit,
Et deviendra digne peut-être,
Ou de Thaïs qui le chérit,
Ou de l’amour qui le fit naître :
Jamais l’inclémence des airs
N’offensa son tendre feuillage ;
Il brave, à l’abri de l’orage,
Le souffle glacé des hivers :
Au retour de la jeune aurore,
Je l’arrose chaque matin ;
Je ne m’en fierois point à Flore,
D’un soin qu’elle reclame en vain,
Et veux seul embellir encore
L’arbre sacré de mon jardin.
Crois, lui dis-je, Thaïs l’ordonne ;
Avec toi croîtra mon amour :
Puissent tes feuilles quelque jour
Se voir tresser pour sa couronne !
Oui ; qu’elle t’envie à son tour,
Que ta verdure s’épaississe ;
Et que ta tige s’arrondisse,
Pour l’ombrager à son retour ?