Jeunes filles/Fleur sans Soleil

 
Ce qui la peut guérir, cette enfant le repousse.
« Oui, je l’aime, et j’en souffre, et ma douleur m’est douce,
             Dit-elle, et j’en veux bien mourir.
Sa voix me donne au cœur une vive secousse,
             Mais j’en tressaille avec plaisir.

« Son pas est différent du pas des autres hommes,
Et si j’entends ce bruit près des lieux où nous sommes,
             Ma mère, je rougis d’émoi ;
Quand tu parles de lui, quand surtout tu le nommes,
             Je baisse les yeux malgré moi.

« S’il connaissait le peu qui me rendrait heureuse,
S’il daignait embellir la tombe qu’il me creuse
             D’une fleur de son amitié !
Mais il croit que son âme est assez généreuse
             En m’honorant de sa pitié. »

Et sa mère, qui voit sa langueur maladive,
Sa paupière où sans cesse un pleur furtif arrive,
             Lui dit tout bas en la priant :
« Viens, quel plaisir veux-tu ? veux-tu que je te suive
             Sous un nouveau ciel plus riant ?

— Mon plaisir et mon ciel, mère, c’est ma pensée.
Son image en mon cœur doucement caressée,
             Voilà mon plaisir aujourd’hui ! »
Et la mère murmure : « Insensée, insensée,
             Tu ne seras jamais à lui. »

Ah ! si jamais des pleurs dont je fusse la cause
Tombaient de tes yeux bleus sur ta poitrine rose,
             Jeune fille au naïf tourment ;
Si ta main qui se donne et sur ton cœur se pose
             Pour moi sentait un battement ;

Si dans ton âme pure où Dieu seul et ta mère
Gravent leurs noms bénis ; si dans ce sanctuaire
             Mon image aussi pénétrait,
Et si tu restais là rêveuse et solitaire
             Pour en évoquer chaque trait ;

Si je tenais si bien ta pensée asservie
Qu’un beau voyage au loin ne te fit point envie,
             Qu’un autre ciel ne te plût pas,
Et que l’air et le sol n’eussent pour toi de vie
             Que par ma voix et par mes pas,

Je te saurais aimer, toi dont l’âme ressemble
À la fleur qui dans l’ombre et se replie et tremble
             Et meurt sans le baiser du jour ;
« Viens, te dirais-je, viens, soyons heureux ensemble,
             Je t’adore pour ton amour. »

Collection: 
1865

More from Poet

 
Mon corps, vil accident de l’éternel ensemble ;
Mon cœur, fibre malade aux souffrantes amours ;
Ma raison, lueur pâle où la vérité tremble ;
Mes vingt ans, pleurs perdus dans le torrent des jours :

Voilà donc tout mon être ! et pourtant je rassemble...

 
Tu veux toi-même ouvrir ta tombe :
Tu dis que sous ta lourde croix
Ton énergie enfin succombe ;
Tu souffres beaucoup, je te crois.

Le souci des choses divines
Que jamais tes yeux ne verront
Tresse d’invisibles épines
Et les enfonce dans ton...

Ces vers que toi seule aurais lus,
L’œil des indifférents les tente ;
Sans gagner un ami de plus
J’ai donc trahi ma confidente.

Enfant, je t’ai dit qui j’aimais,
Tu sais le nom de la première ;
Sa grâce ne mourra jamais
Dans mes yeux qu’...

 
Toi qui peux monter solitaire
Au ciel, sans gravir les sommets,
Et dans les vallons de la terre
Descendre sans tomber jamais ;

Toi qui, sans te pencher au fleuve
Où nous ne puisons qu’à genoux,
Peux aller boire avant qu’il pleuve
Au nuage...

 
O vénérable Nuit, dont les urnes profondes
Dans l’espace infini versent tranquillement
Un long fleuve de nacre et des millions de mondes,
         Et dans l’homme un divin calmant,

Tu berces l’univers, et ton grand deuil ressemble
A celui d’une...