Heureuse est la peine
De qui le plaisir
À sur foi certaine
Assis son désir.
L'on peut assez en servant requérir,
Sans toutefois par souffrir acquérir
Ce que l'on pourchasse
Par trop désirer,
Dont en male grâce
Se faut retirer.
Car un tel service
Ne prétend qu'au point,
Qui par commun vice
L'honneur pique, et point.
Et ce travail en fumée devient
Toutes les fois, que la raison survient,
Qui toujours domine
Tout coeur noble, et haut,
Et peu à peu mine
Le plaisir, qui faut.
Mais l'attente mienne
Est le désir sien
D'être toute sienne,
Comme il sera mien.
Car quand Amour à Vertu est uni,
Le coeur conçoit un désir infini,
Qui toujours désire
Tout bien haut et saint,
Qui de doux martyre
L'environne, et ceint.
Car il lui engendre
Une ardeur de voir,
Et toujours apprendre
Quelque haut savoir :
Le savoir est ministre de Vertu,
Par qui Amour vicieux est battu,
Et qui le corrige,
Quand dessus le coeur
Par trop il s'érige
Pour être vainqueur.
C'est pourquoi travaille
En moi cet espoir,
Qui désir me baille
Et voir, et savoir.
Étant ainsi mon espoir assuré,
je ne crains point qu'il soit démesuré :
Mais veux bien qu'il croisse
De plus en plus fort,
À fin qu'apparoisse
Mon coeur ferme, et fort.
Et que toujours voie,
Travaillant ainsi,
Tenir droit la voie
D'immortel souci.
Si donc il veut en si haut lieu monter
Qu'il puisse Amour en la Mort surmonter,
Sa caduque vie
Devra soulager
D'une chaste envie
Pour l'accourager.
Ainsi m'accompagne
Un si haut désir
Que pour lui n'épargne
Moi, ni mon plaisir.
(Chanson VIII)