Feuillets parisiens

O timide héros oublieux de mon rang,
Vous n’avez pas daigné saluer votre dame !
Vos yeux bleus sont restés attachés sur la rame.
Osez voir sur mon front la fureur d’un beau sang.

J’observe le pilote assoupi sur son banc,
Afin que le navire où vient neiger la lame
Nous conduise tout droit devant l’épitalame.
Je suis le blanc gardien de votre honneur tout blanc.

Qu’éclate sans pitié ma tendresse étouffée !
Buvez, Tristan. Je suis la fille d’une fée ;
Ce breuvage innocent ne contient que la mort.

Je bois, faisant pour vous ce dont je suis capable.
O charme, enchantement, joie, ivresse, remord !
Je renferme l’amour, ce breuvage coupable.


Un savant visitait l’Egypte ; ayant osé
Pénétrer dans l’horreur des chambres violettes,
Où les vieux rois Thébains, en de saintes toilettes,
Se couchaient sous le roc, profondément creusé,

Il vit un pied de femme, et le trouva brisé
Par des Bédouins voleurs de riches amulettes.
Le beaume avait saigna le long des bandelettes,
Le henné ravivait les doigts d’un ton rosé.

Car ce pied conservait dans ses nuits infernales
Le charme doux et froid des choses virginales :
L’amour d’un jeune dieu l’avait pris enfantin.
Ayant baisé ce pied posé dans l’autre monde,
Le savant fut saisi d’une terreur profonde
Et mourut furieux, le lendemain matin.


L’arbre déraciné, grand cadavre verdi,
Sur un chariot lourd est traîné par les rues.
Les oiseaux sont partis d’un coup d’aile hardi,
Les nids sont renversés, les chansons disparues.
Les branchages souillés dans le faubourg malsain
Traînent lugubrement leur chevelure verte.
Ainsi sous le couteau cruel d’un assassin
S’échevèle une femme à la blessure ouverte.

Hautaine, l’œil plein de menace,
Sein de lys et cœur indompté,
Blagueuse, rouée et tenace,
Mais pure par férocité.


Fière comme Junon, comme Froufou vêtue,
Vous me représentez, madame, une statue,
Qui, prise par le spleen en l’olympe natal,
Pour s’habiller chez Worth a fui son piédestal.

Je suis le témoin des plaisirs flétris,
Je suis le témoin du bonheur qui reste,
Je suis la fleur simple, ignorée, agreste…
Je suis myosotis.


Va, n’espère jamais ressembler à ces mères
Qui font verser à l’Ambigu larmes amères ;
Tu n’es pas solennelle et tu ne saurais pas
Maudire, avec un geste altier de l’avant-bras ;
Tu n’as jamais cousu, jamais soigné mon linge,
Tu t’occupes bien moins de moi que de ton singe ;
Mais, malgré tout cela, les soirs de bonne humeur,
C’est avec toi que je rirai de meilleur cœur ;
Ensemble nous courrons premières promenades,
Car je te trouve le plus chic des camarades.


Quand la lampe Carcel sur la table s’allume,
Le bouilli brun parait, escorté du légume,
Blanc navet, céleri, carotte à la rougeur
D’aurore, et doucement, moi je deviens songeur ;
Ce plat fade me plaît, me ravit ; il m’enchante :
C’est son jus qui nous fait la soupe succulente ;
En la mangeant, je pense, avec recueillement,
A l’épouse qui, pour nourrir son rose enfant,
Perd sa beauté, mais gagne à ce labeur austère
Un saint rayonnement trop pur pour notre terre.

LE MOINE
Yseult.
ENGUERRAND
Tout.simplement. Elle était jeune et belle,
Sans fortune et sans nom. Je lui donnais les miens,
Moi, des Machicoulis, duc et.
LE MOINE
Je me souviens.
ENGUERRAND
Duc et cousin du Roy, comte.
YSEULT
Assez ! mais j’y songe,
Sans doute un appétit formidable vous ronge,
Mon père, soyez donc le convive inconnu
Qui peut toujours venir.
ENGUERRAND
II est enfin venu,
Ah ah ah nous allons pouvoir dîner, que diantre
YSEULT
Je n’ai plus faim.
LE MOINE
Ni moi.

Collection: 
1885

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