Fables (La Fontaine) 4

Une poule jeune et sage,
Toute faite pour charmer,
Qui pouvait se faire aimer
De tous les coqs du village,
Marchait d’un pas fort galant,
Et comme poule qui veut plaire,
Portait pour habit d’ordinaire
Un petit drap d’or volant.
Se voyant posséder des beautés sans égales,
Malgré mille rivales,
Du mari qu’elle aimait elle croyait aussi
Être aimée, et sans doute il le fallait ainsi.
Mais bientôt du contraire elle se vit certaine,
Car cet emplumé sultan,
Suivi de son sérail qu’il menait dans la plaine,
Se faisait chaque jour des autres une reine,
Quand celle-ci recevait à peine
Le mouchoir qu’une fois l’an.
Un juste désespoir s’empare de son âme,
Et suivant le dépit qui l’entraîne et l’enflamme,
Elle court à venger de si cruels dédains ;
Mille desseins elle roule,
Mais elle est poule,
Et la crainte lui fait emprunter d’autres mains.
Sottement elle s’adresse
Au renard son ennemi,
Et non sans avoir frémi,
Lui dit le mal qui la presse,
Et pourvu que par lui son cœur soit satisfait,
Avec serment lui promet
Que dans les broussailles voisines
Elle saura bientôt lui livrer en secret
Le coq et les concubines.
Il lui promet à son tour
De bien venger son amour,
De secourir sa faiblesse,
L’assure qu’elle aura raison,
Et, comme il est adroit et rempli de finesse,
Il flatte la trahison,
Pour attraper la traîtresse.
D’abord il s’alla poster
Sur le détour obscur d’une route secrète,
Par où sans qu’on le vît, il pouvait attenter
Sur toute la troupe coquette.
Après avoir en tapinois
Fait longtemps le pied de grue,
La poule retourne au bois
Lui conter, toute éperdue,
Que, par un cas imprévu,
Des soldats dont la faim est toujours insensée,
Avaient mis à son insu
Le sérail en fricassée.
Non, non, je n’aurai point attendu vainement,
Dit le renard en colère :
Du temps que j’ai perdu tu seras le salaire !
Et l’approchant finement
L’étrangla comme il sait faire.
Quand on veut venger une offense
Et que seul on ne peut se venger qu’à demi,
C’est une grande imprudence
D’employer son ennemi.

Collection: 
1641

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