« Qui n’a tourné les yeux, dans ces momens où la patrie
» fatigue, vers la république de Washington ? Qui ne s’est
» assis, dans la pensée, à l’ombre des forêts et des lois de
» l’Amérique ?»
(L’abbé Henri LACORDAIRE.)
« J’irai errant dans mes solitudes ; pas un seul battement
» de mon coeur ne sera comprimé ; pas une seule de mes pen-
» sées ne sera enchaînée ; je serai libre comme la nature ;
» je ne reconnaîtrai de souverain que celui qui alluma la
» flamme des soleils et qui, d’un seul coup de sa main, fit
» rouler tous les mondes. »
(CHATEAUBRIAND.)
« Terre de Washington, j’ai souvent dans mes veilles
» Rêvé de m’enfoncer en tes riches déserts,
» Rêvé de saluer tes lointaines merveilles,
» Las des astres vieillis de ce vieil univers.»
(A. de LATOUR)
Que m’importe le champ où la Bastille fut,
La fenêtre où tirait Charles neuf à l’affût,
L’immense Panthéon, son fronton et son dôme,
Et le grave Empereur sur la place Vendôme,
Et le maigre gazon du bourbeux Champ-de-Mars,
Et le palais du prêtre assassin de Cinq-Mars,
Et Notre-Dame, où l’oeil extasié se plonge,
Et sa duplexe tour qui vers les cieux s’allonge,
Antique monument, débris du peuple Goth,
Qui surgit tout entier de la tête d’Hugo ?…
Moi, dont le corps faiblit, dont l’âme et en tristesse,
Que me font les plaisirs de la molle Lutèce ?
Est-ce pour consoler mon coeur de deuil saisi
Que Taglioni danse et que chante Grisi ?
Pour me verser l’oubli des savanes connues,
Que l’Opéra vomit ses femmes demi-nues ?
Est-ce pour dissiper mon long mal du pays
Ton sourire si doux, gracieuse Anaïs ?
O brune Léontine, Andalouse française,
Est-ce pour que mon coeur palpite plus à l’aise,
Est-ce pour l’exilé des pins de Bonfouca
Que s’embrasent ainsi tes yeux de Rebecca ?…
Non !…pour moi, paria, la chambre solitaire,
Pour moi, privé d’amour, pour moi, l’étude austère,
La Cité-Thébaïde et son brouillard de plomb…
Oh ! que ne puis-je entendre, insoucieux colon,
Les arbustes semés en lignes inégales,
Dans ma tiède forêt résonner de cigales !…
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Qu’un autre, ingrat enfant, vieux fleuve, te blasphème,
Moi, je te chanterai, Michasippi… je t’aime !
Je chanterai toujours, lorsque l’on te maudit,
Tes savanes, tes bois où le bison bondit.
A toute âme aspirant aux émotions neuves,
Je dirai : « Venez voir le plus grand de nos fleuves,
Ce vieux Nil des déserts où Châteaubriand but ,
Et les mille affluens qui lui portent tribut,
L’Arkansa, le Wabash, l’Ohio, tous ceux que nomme
Si poétiquement le sauvage idiome ! »
Loin du boueux Paris, viens poëte avec nous !
Viens t’enivrer du chant de nos colins-foroux ,
Et de ces mille voix que la forêt bégaie
La nuit ; dans nos bayous , viens, plongeant la pagaie,
Avec le nègre ardent rivaliser d’efforts ;
Viens chasser le chevreuil caché dans nos bois-forts ,
Européen blasé, viens te faire sauvage :
Ah ! loin de cette foule, au pesant esclavage,
Loin d’un monde égoïste où tu maudis le sort,
Dans nos calmes déserts, viens voir comme l’on dort !
Viens voir les Indiens, dans nos pinières vertes,
En cercle, insoucieux, couchés sur leurs couvertes ;
Viens voir le nègre heureux pêchant au bord de l’eau :
Esclave, il voit un père où tu vois un bourreau.
Sous la hutte de pin, oh ! viens, comme Pavie ,
Retrouver dans nos bois l’indépendante vie,
Et chanter, tour à tour, dans ta mâle fierté,
Dieu, la grande nature, avec la liberté !
Paris, Cité, le 2 janvier 1836.