Enfin c’est toi !

Enfin c’est toi ! Laisse-moi rester dans tes bras ;
Puis tu m’objurgueras tant que tu le voudras ;
Mais laisse-moi pleurer dans ton giron, que sais-je ?
Sur les pieds, vers tes yeux ou mon remords s’allège ;
Mou remords véritable, ou ma honte plutôt,
Ma honte véridique à n’en point perdre un mot,
Et voici, non pas mon excuse... superflue !
Voici les faits, et juge :

Voici les faits, et juge :Or, un jour de berlue,
J’avais, toi là, lorgné quelque minois passant.
Tu m’en fis l’observation en te gaussant.
C’est vrai, mais non sans quelque amertume latente,
Du moins pensais-je ainsi, moi toujours dans l’attente
De tous les sentiments qu’ils soient bons ou mauvais,
Pour m’en désespérer ou m’en réjouir, mais
Passons. Et me piquant au jeu, je jouai double,
D’abord plein de scrupule, ô conscience trouble !
Puis délibérément, sans pudeur, à ton nez
(Adorable pourtant), et mes vœux étonnés

Qui, dès longtemps n’avaient que toi pour but au monde
S’égaillèrent bientôt de la brune à la blonde.
Enfin vint le départ, la fuite, l’abandon
De toi par moi, mes rencontres d’une Goton
Par nuit, vingt nuits avec des femmes différentes.
Et je m’habituais à ça comme des rentes
Sans même me douter si c’était odieux,
Tant mes sens m’étaient devenus comme des dieux.
De ta saine présence exilés volontaires
Et je les enivrai de ces vingt adultères
Ainsi qu’un vil païen prodiguant son encens
A des idoles, et son cœur avec ou sans.
 
Le cœur, quelle catin alors qu’il se dérange !

Dans ces femmes d’ailleurs je n’ai pas trouvé l’ange
Qu’il eût fallu pour remplacer ce diable, toi !
L’une, fille du Nord, native d’un Crotoy,
Était rousse, mal grasse et de prestance molle :
Elle ne m’adressa guère qu’une parole
Et c’était d’un petit cadeau qu’il s’agissait.
L’autre, pruneau d’Agen, sans cesse croassait.
En revanche, dans son accent d’ail et de poivre,
Une troisième, récemment chanteuse au Havre,
Affectait le dandinement des matelots
Et m’. ..engueulait comme un gabier tançant les flots,
Mais portait beau vraiment, sacrédié, quel dommage
La quatrième était sage comme une image,

Châtain clair, peu de gorge et priait Dieu parfois :
Le diantre soit de ses sacrés signes de croix !
Les seize autres, autant du moins que ma mémoire
Surnage eu ce vortex, contaient toutes l'histoire
Connue, un amant chic, puis des vieux, puis « l’îlot »
Tantôt bien, tantôt moins, le clair café falot
Les terrasses l'été, l’hiver les brasseries
Et par degrés l'humble trottoir en théories
En attendant les bons messieurs compatissants
Capables d’un louis et pas trop repoussants
Quorum ego parva pars erim, me disais-je.
Mais toutes, comme la première du cortège,
Dès avant la bougie éteinte et le rideau
Tiré, n’oubliaient pas le « mon petit cadeau ».
 
Et voilà mon bilan de folles andalouses.
Ça vexe-t-il par trop, dis, tes fureurs jalouses
Ou si je suis plutôt à plaindre qu’à blâmer ?
Mais voici que j’y pense — ô misère d’aimer !
Moi qui parle tout franc et qui plaide coupable.
Ne serais-tu pas, toi, de ton côté capable
Non pas de ne pas pardonner (c’est si joli.
Si gentil le pardon, — quand c’est fleuri d’oubli),
Mais, te voyant ainsi méchamment esseulée.
Hein, de t’être faite une veuve consolée ?
Bonne guerre, après tout, et m’en taire siérait.

O tout de même, si qu’on se pardonnerait ?

Collection: 
1864

More from Poet

  • Les sanglots longs
    Des violons
    De l’automne
    Blessent mon cœur
    D’une langueur
    Monotone.

    Tout suffocant
    Et blême, quand
    Sonne l’heure,
    Je me souviens
    Des jours anciens
    Et je pleure;

    Et je m’en vais
    Au vent mauvais...

  • (A Germain Nouveau)

    Dans une rue, au coeur d'une ville de rêve
    Ce sera comme quand on a déjà vécu :
    Un instant à la fois très vague et très aigu...
    Ô ce soleil parmi la brume qui se lève !

    Ô ce cri sur la mer, cette voix dans les bois !
    Ce sera comme quand...

  • Un pavillon à claires-voies
    Abrite doucement nos joies
    Qu'éventent des rosiers amis;

    L'odeur des roses, faible, grâce
    Au vent léger d'été qui passe,
    Se mêle aux parfums qu'elle a mis ;

    Comme ses yeux l'avaient promis,
    Son courage est grand et sa lèvre...

  • Je suis l'Empire à la fin de la décadence,
    Qui regarde passer les grands Barbares blancs
    En composant des acrostiches indolents
    D'un style d'or où la langueur du soleil danse.

    L'âme seulette a mal au coeur d'un ennui dense.
    Là-bas on dit qu'il est de longs combats...

  • (A Villiers de l'Isle-Adam)

    Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,
    De beaux démons, des satans adolescents,
    Au son d'une musique mahométane,
    Font litière aux Sept Péchés de leurs cinq sens.

    C'est la fête aux Sept Péchés : ô qu'elle est belle !
    Tous les...