I
C’est l’heure symphonique où, parmi les ramures,
Roulent du rossignol les tendres fioritures ;
L’heure voluptueuse où le cœur des amans,
Au seuil du rendez-vous, double ses battemens.
Des murmures du soir les merveilles suaves
D’un mol enivrement chargent les sens esclaves.
L’atmosphère est sans brume, et, dans ses profondeurs,
Des joyaux de la nuit les magiques ardeurs
Tremblent. D’un bleu foncé l’onde immobile est teinte ;
Les massifs du bocage ont rembruni leur teinte,
Et du jour qui se meurt le reflet langoureux
Semble au front des rochers un turban vaporeux.
II
Assis dans les rameaux d’un chêne opaque et moite,
Aux bords d’un vivier pur dont la nappe miroite,
Je savoure à loisir les sourdes voluptés
Que la nature envoie à mes nerfs enchantés.
Les émanations des feuilles et des tiges
M’enveloppent le corps d’un réseau de vertiges.
Mon œil ensorcelé se baigne avec amour
Dans la moire lunaire au floconneux contour :
Mon cœur se gonfle, s’ouvre, et darde à son cratère,
Mille pensers confus, phosphorescent mystère ;
Comme un punch allumé dresse au haut de son bol,
De ses flammes d’azur l’éparpillement fol.
Mais voici qu’à travers la pompe du silence,
Comme pour mieux bercer ma vague somnolence,
De la tour qui surplombe au mur du parc voisin
Jaillit l’arpègement d’un mâle clavecin.
Grâce aux brises du soir qui, dans leur fantaisie,
Ont du boudoir obscur ouvert la jalousie,
Les notes, les accords, mélodieux follets,
À mon oreille émue arrivent bien complets.
III
Et d’abord, c’est le miracle
Des oratorios divins,
Que, dans leur chaste cénacle,
Font ouïr les séraphins.
Puis, c’est la preste cadence
D’un double aviron qui danse
Sur un lac sonore et frais ;
C’est la rumeur monotone
D’une rafale d’automne,
Découronnant les forêts.
C’est le déchirement d’un rideau de nuages,
Où la livide main du gnome des orages
Dessine avec la foudre un delta sulfureux ;
C’est le roulement sourd des lointaines cascades
Qui s’en vont envahir, après mille saccades,
Un précipice ténébreux.
C’est le choc de deux armées
Aux prises dans les vallons,
Qui, les chairs bien entamées,
Pourprent de sang les sillons.
Entendez-vous les cymbales,
Le rire strident des balles,
Le rude bond du coursier,
L’obus qui fouille la terre,
Et les coups de cimeterre
Parmi les bustes d’acier ?
C’est le sanglot d’amour, le doux râle qui tombe
De l’arbre où, pour aimer, se blottit la colombe ;
C’est la voix de cristal des champêtres clochers ;
C’est l’incantation vague, joyeuse et douce
Des nains du pays vert dégarnissant de mousse
Les interstices des rochers.
IV.
Que ce luxe d’accords, fugace mosaïque,
Improvisation pleine d’entraînement,
Me subjugue, m’étreint, s’allie heureusement
Au luxe de pensers de mon âme hébraïque !
Mon être intérieur me semble en ce moment
Une île orientale aux palais magnifiques,
Où deux grands magiciens, athlètes pacifiques,
Font, sous l’œil d’une fée, assaut d’enchantement.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Harmonie, ange d’or ! comme toujours tes nimbes
Savent de mon cerveau rasséréner les limbes !
Harmonie, Harmonie, oh ! quel amour puissant
Pour tes miracles saints fermente dans mon sang !....
— Si jamais la rigueur de mon sort me décide
À chercher un refuge aux bras du suicide,
Mon exaltation d’artiste choisira
Pour le lieu de ma mort l’italique Opéra.
Je m’enfermerai seul dans une loge à grilles ;
Et quand les violons, les hautbois et les strilles,
Au grand contentement de maint dilettante,
Accompagneront l’air du basso-cantante,
L’oeil levé hardiment vers les sonores voûtes,
D’un sublime opium j’avalerai cent gouttes ;
Puis je m’endormirai sous les enivremens,
Sous les mille baisers, les mille attouchemens
Dont la Musique, almé voluptueuse et chaste,
Sur ma belle agonie épanchera le faste.