La jeunesse a vieilli ; la Poésie errante
S’affolle dans la nuit d’une impasse interlope ;
Le pessimisme cher, comme un crêpe, enveloppe
L’Existence de son ombre désespérante ;
La prose rampe au ras du sol, flairant l’immonde,
Étalant au dégoût les vices pathétiques,
Et dans ce désarroi des vaines Poétiques
Il m’a pris un regret immense d’être au monde.
Mais tu m’es apparue en cette heure de honte,
Blonde, et ceinte de joie, et consolante, et rose ;
Et j’ai su que de vivre auprès de toi repose,
Et que l’amour est lent, et la tristesse prompte.
Et j’ai cueilli, vers l’aube, au verger de mon âme,
Ces Fleurs d’Avril, espoir des viriles automnes
Alors que jaillira du flanc joyeux des tonnes
Le vin doux qui sommeille, à noirs flots de dictame.
La Poésie impérieuse est mon amante
Très grave et docte aussi parfois, comme les dames
Du temps jadis, et douce et tendre dans ses blâmes ;
Son pas altier traîne en lourds plis sa robe lente
Où luit l’éclat des Fleurs de Lys, comme des flammes.
Je sais un cœur vaillant sous sa gorge royale
Marmoréenne ainsi que l’antique Déesse ;
Je sais l’amour jaloux trop grand pour ma faiblesse
Par quoi je vaux ce que je vaux, hautain et mâle ;
Son cœur et son amour, et qu’Elle est ma maîtresse.
Le rythme de sa voix est ma seule métrique,
Et son pas alterné ma rime nuancée,
Mon idée est ce que j’ai lu dans sa pensée,
Certe, et je n’ai jamais rêvé d’autre amérique
Que de baiser l’or roux de sa tête abaissée.
Je n’ai voulu parmi la vie active et sainte
Que des heures que sa douceur livre à ma joie,
Où longuement je parle, où, pour qu’elle me croie,
Je suis naïf, comme un enfant simple et sans feinte,
Aimant l’obscurité que son aile déploie.
Et je vivrai dans l’ombre, à ses pieds, sans tristesse,
N’ayant d’ambition que de rêver près d’Elle,
Sans redouter pour moi l’avenir infidèle,
Car je n’aurai chanté que pour ma douce hôtesse,
Un vague chant d’amour dans l’ombre de son aile.
L’amour est une ragot friand de chairs laiteuses ;
L’amour est un bel ange aux prunelles douteuses
Fautrices des actions sublimes et honteuses.
Aimer : en une bauge une âme qui se gîte ;
Un oiseau pris au rêts qui follement s’agite ;
— C’est ta vie, Aspasée, et la tienne, Brigitte ! —
L’amour est comme un champ de fleurs où meurt le seigle ;
Comme un roc hasardeux pour tous, même pour l’aigle
Que foudroie une flèche enfantine d’espiègle.
Aimer : c’est vivre en joie une heure palliante ;
C’est mourir une vie aigrie ou patiente,
Fréneuse de regrets, d’espoirs inconsciente.
L’amour : c’est le sursum, l’aubade universelle ;
C’est la prière des existences vers Celle
Ou Celui de là-haut par qui l’être ruisselle.
Aimer : c’est aspirer les frais parfums de l’aube ;
C’est pleurer, le soir, vers le jour qui se dérobe ;
C’est vénérer tout ce que notre azur englobe,
L’amour est celle voix qui murmure la rime ;
C’est toi, muse, et mon vers en qui ton vœu s’exprime
Redira que l’amour ne fut jamais un crime.
Aimer : c’est le métier de l’aède qui pense ;
C’est le balsame cher qui mitigé et compense
Ma douleur que, là-haut, attend sa récompense.
Aujourd’hui que l’époux n’est plus dans la cité…
Que votre voix est douce et douce vos amours !
Ébréchant au passer son vacillant contour
De grands nuages noirs vont balottant la lune
Vers l’Orient, ainsi qu’une épave à la brune ;
Tous les vents d’équinoxe ululent à l’entour
Avec le sifflement des bises dans la hune,
El je ne sais pourquoi je rêve à ton amour.
O saveur de péché, fruit savamment pervers !
O l’arôme aigre-doux, toxique des pensées !
O le crime d’aimer ! — Voluptés insensées
Du rêve sacrilège où flotte à mots couverts
L’infâme aveu, d’abord, puis, âmes enlacées,
Dans l’ombre chuchotter l’hymne des univers !
Voguer, incurieux des pourquoi, des comment,
Voguer à la dérive au gré des houles sombres,
Sans but, vers l’avenir, au mépris du serment ;
Voguer, jusqu’à sombrer, très cher, comme tu sombres ;
Narguer d’indifférence ou briser sciemment
Un idéal trop pur, ce vieux, ce seul tourment !…
Voilà ce que déclame au clair de lune, cher,
L’étrange cœur qui bat au fond de ma poitrine,
Le vieux cœur excessif et franc qui ne burine
Qu’à regret l’impudeur de ses visions de chair —
Se faisant à plaisir du ciel une marine
Fantastique où la lune-épave est sans nocher.
Sur la grève que déchire la dent des rocs
Le flux immensément déferle à lourds bouillons,
Et la dune éphémère où tantôt nous foulions
Des algues s’est fondue en eau parmi leurs chocs ;
La masse colossale et sombre d’une mer,
Qu’aiguillonne le fouet des vents hurleurs du nord,
Avec un cri de haine a bondi ; mais l’effort
Rejaillit vers les deux comme un blasphème amer.
La Croix démesurée où sanglotte l’adieu
Des générations qui surent espérer,
Montrant au loin la route à qui veut s’égarer,
Dresse implacablement l’envergure d’un Dieu !
Par l’indécision d’un vieux conte de fées,
Au faîte ardu d’un mont parsemé de trophées,
D’énervantes senteurs m’arrivaient par bouffées
Du gouffre où pourrissaient vingt enfants mortes-nées ;
Un tournoîment de ronde et de roses fanées
Qu’on foule : c’était la ronde de mes années.
Des filles, en chantant, des femmes, des vieillardes
Passaient et repassaient, rougissantes, blafardes,
Les unes ceintes d’or, d’autres serrant leurs hordes.
Et puis, à chaque tour, tandis que je sanglotte,
La plus jeune est lancée au gouffre où monte et flotte
Pour un instant l’horreur d’un cri de Souliote.
O la ronde fatale à l’allure macabre
Va tournant et hurlant et poussant au seuil glabre
La plus jeune, l’écumeaux lèvres, qui se cabre.
Mais la bande vieillotte, ainsi qu’un vent d’orage
Tourbillonne et son chant devient un cri de rage
Car la plus jeune est vieille et manque de courage.
Et la plus vieille sait, car son œil est de flamme,
Que nous irons tous deux vers le gouffre qui clame
Et que leur cri funèbre est notre épithalame.
Il en est — les plus grands, ce dit-on — de sonores
Dont la rime, comme un bourdon de cathédrale,
Étonne au loin la foule ; il en est dont le râle
Sanglotte en vers puissants l’écho des nevermores.
Il en est dont les grands doux vers fondent en larmes
Et que leur Dieu console et qui pleurent quand même ;
Il en est pour nier l’amour, disant : je m’aime,
Et dont le vers serein a d’impassibles charmes.
Il en est qui s’en vont où les mène la rime
Et d’autres vont, la ravallant, devers le vague ;
Et sur le grand sommet où, seul d’esprit, je vague
Tel proclame vertu ce qu’un autre dit crime.
Et je rêve à ton culte, o Christ, en ce tumulte
De schisme et d’hérésie où plane ma Déesse,
Où chacun prétend seul sacrer le Vin d’ivresse
Et le Pain consolant les brebis de l’insulte :
Réalisme, blasphème absurde, ésotérisme,
Attendrissements chers, joyeuseté bouffonne,
Voilà la sérénade, o Déesse, qu’entonne,
Le chœur énamouré des croyants du lyrisme.
Ils t’aiment, je le sais, et la cacophonie
Se mêle en doux accords pour toi qui sais entendre ;
Mais il n’en est aucun qui t’aime d’amour tendre
Comme le mien et qui méprise qui te nie,
Plus que ce cœur saignant de tendresse infinie !