Chansons allemandes

 
Petite Christel, dirent les colombes,
D’où vient ce matin le deuil où tu tombes,
Quand l’été sourit à la plaine en fleur ?
— Oui, l’été sourit et les fleurs sont belles ;
Mais j’ai, tourterelles,
L’hiver dans mon cœur.

Petite Christel, dirent ses amies,
Tes peines seraient bien vite endormies
Avec des chansons : pourquoi soupirer ?
— Il me faut un cloître et de lourdes grilles.
Chantez, jeunes filles,
Moi je veux pleurer.

Petite Christel, tu sais que je t’aime,
Dit le jeune roi : prends mon diadème,
Sois ma reine, et plus de pleurs entre nous.
— Hélas ! dit Christel, dont le front se penche,
Ma couronne blanche,
Me la rendrez-vous ?

Verte est la bruyère où Lise la belle
Regarde en souriant son bien-aimé près d’elle ;
Son petit enfant l’embrasse et la suit. —
Mais la terre est si froide à l’heure de minuit !

La mort pâle vient : Lise, blonde et rose,
Dans le cercueil étroit, les mains jointes, repose ;
Son époux en deuil pleure et la conduit. —
Mais la terre est si froide à l’heure de minuit !

Pâle, il la conduit au froid cimetière.
Là des prêtres en noir disent une prière,
La terre la couvre ; on s’en va sans bruit.
Mais la terre est si froide à l’heure de minuit !

Elle entend de loin son enfant qui pleure :
Elle demande à Dieu de lui prêter une heure
Pour aller encor veiller près de lui.
Mais la terre est si froide à l’heure de minuit !

Elle pria tant, que la Vierge sainte
Alla porter à Dieu sa prière et sa plainte :
Le Seigneur lui donne une heure de nuit.
Mais la terre est si froide à l’heure de minuit !

Lise du cercueil écarte une planche,
Et parmi les tombeaux se lève froide et blanche.
La nuit est humide et la lune luit.
Mais la terre est si froide à l’heure de minuit !

Que veut cette femme ? Elle ouvre la porte…
Mon Dieu, comme elle est pale ! on dirait une morte.
Elle entre : le chien la lèche et la suit.
Mais la terre est si froide à l’heure de minuit !

Viens, mou bien-aimé, c’est moi qui l’appelle !
— Non, celle que je pleure, elle était rose et belle.
— Oh ! je n’ai qu’une heure, et le temps s’enfuit !
Mais la terre est si froide à l’heure de minuit !

Mon petit enfant, viens, voici ta mère.
— Non, ma mère était belle ; elle dort sous la terre.

Et l’enfant tremblant la repousse et fuit.
Mais la terre est si froide à l’heure de minuit !

Triste, elle s’en va sans attendre l’heure ;
Elle ne revint plus visiter sa demeure.
Hélas ! rien ne rend le bonheur détruit.
Mais la terre est si froide à l’heure de minuit !

Sous l’azur profond des nuits constellées,
En longs voiles blancs, couronnant nos fronts
Du nénufar d’or aux fleurs emperlées,
Parmi les joncs verts, au fond des vallées.
Nous nous égarons.

Pour avoir passé jadis sur la terre
Sans vouloir ouvrir nos cœurs à l’amour,
Nous ne pouvons plus vivre à la lumière ;
Nos ailes fondraient en vapeur légère
Aux rayons du jour.

Le jour, nous volons, troupe virginale,
Aux champs de la lune, éclatants de lis,
Où, semant leurs lits de nacre et d’opale,
Les ruisseaux d’argent teignent leur flot pale
Des reflets d’Iris.

Et puis, quand vient l’heure où le ciel se dore,
L’heure des baisers, sur un rayon blanc
Nous laissons glisser notre aile sonore,
Et nous nous baignons dans l’air tiède encore
Sur le lac tremblant.

Nous chassons du lit des vierges candides
Les songes d’amour, enfants de minuit,

Qui font palpiter nos cœurs de sylphides,
Et nous remplissons de rêves limpides
L’unie de la nuit.

L’alouette chante, et l’aurore efface
Les étoiles d’or sous son doigt vermeil ;
La voix du matin comme elles nous chasse :
Ce soir, nous viendrons pour baiser la trace
Des pas du soleil.

Tous deux, à travers la forêt profonde,
Ils passaient, passaient ; et la lune blonde
Baisait leurs fronts purs dans l’air argenté.
Lui disait tout bas : Oublions le monde !
A toi mon amour, à moi ta beauté.
Elle répondait : Pour l’éternité.

 
Sans désirs, pendant la nuit dangereuse,
Ils marchaient si seuls dans l’allée ombreuse,
Vierges, l’un de l’autre écoutant la voix,
Et puis regardant la lune onduleuse,
La lune onduleuse et les fleurs des bois.
Oh ! vivre un seul jour des jours d’autrefois !

Ils voguaient, voguaient sur les eaux discrètes
Qui germent au fond des grottes secrètes.
Elle dit, ouvrant ses lèvres de miel :
L’azur sous nos pieds, l’azur sur nos têtes,
La nuit recueillant l’hymne universel,
Et toi près de moi, n’est-ce pas le ciel ?

Magique parfum des fleurs éphémères,
Magnétique attrait des coupes amères,
Poison du désir, chants fascinateurs,
Quels baisers valaient ces baisers de frères,
Sur le ruisseau bleu, plein de bruits rêveurs,
Miroir diaphane où tombaient leurs pleurs ?

Tristes de bonheur, leurs âmes trop pleines
Aspiraient l’écho des lyres lointaines,
Et, l’un dans les bras de l’autre enlacés,
Ils laissaient couler les heures sereines. —
Quels rêves si doux ne sont effacés
Par le souvenir des amours passés ?

 

J’ai cru qu’on m’enfermait au couvent : c’est un rêve !
Je suis morte, il est mort aussi : je bénis Dieu !
Là-bas, sur la tombe une ombre se lève :
Viens, mon bien-aimé, viens me dire adieu.

— J’ai cru qu’on m’enchaînait dans la tour, sur la pierre,
Seul, loin d’elle et du jour ; mais non, ce cachot noir,

C’était mon tombeau dans le cimetière.
Que Dieu soit béni, je vais la revoir !

— C’est toi ! Je savais bien que tu m’aurais suivie,
Tu me l’avais promis. Cette félicité
Qu’on nous refusait pendant notre vie,
La mort nous la rend pour l’éternité.

— Je rêvais de prison, et toi de monastère :
Un baiser ! oublions et mon rêve et le tien.
Dieu, qui sépara nos cœurs sur la terre,
Les unit au ciel : je le savais bien !

— Écoute ! un son de cloche a retenti : c’est l’heure
Du dernier jugement pour tous les trépassés ;
Faut-il nous quitter sitôt ? — Non, demeure :
Qu’importe le ciel ? restons embrassés ! —
 

La cloche du matin sonne pour la prière ;
À travers les barreaux glisse un rayon du jour.
Tous deux à la fois ouvrent leur paupière,
Elle en sa cellule, et lui dans la tour.

Collection: 
1842

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