Dessus les bords d'une fontaine
D'humide mousse revêtus,
Dont l'onde à maints replis tortus
S'allait égarant dans la plaine,
Un berger se mirant en l'eau
Chantait ces vers au chalumeau :
Cessez un jour, cessez, la belle,
Avant ma mort d'être cruelle.
Se peut-il qu'un si grand supplice
Que pour vous je souffre en aimant,
Si les dieux sont faits de justice,
Soit enfin souffert vainement ?
Peut-il être qu'une amitié
N'émeuve jamais à pitié,
Même quand l'amour est extrême,
Comme est celle dont je vous aime ?
Ces yeux de qui les mignardises
M'ont souvent contraint d'espérer,
Encores que plein de feintises,
Veulent-ils bien se parjurer ?
Ils m'ont dit souvent que son coeur
Quitterait enfin sa rigueur,
Accordant à ce faux langage
Le reste de son beau visage.
Mais quoi ? les beaux yeux des bergères
Se trouveront aussi trompeurs
Que des cours les attraits pipeurs ?
Doncques ces beautés bocagères,
Quoique sans fard dessus le front,
Dedans le coeur se farderont
Et n'apprendront en leurs écoles
Qu'à ne donner que des paroles ?
C'est assez, il est temps, ma belle,
De finir cette cruauté,
Et croyez que toute beauté
Qui n'a la douceur avec elle,
C'est un oeil qui n'a point de jour,
Et qu'une belle sans amour,
Comme indigne de cette flamme,
Ressemble un corps qui n'a point d'âme.