Vous ne savez pas mon âge ?
J’ai bientôt quatre-vingts ans :
Après un si long voyage,
On a connu bien des gens.
Mais je suis bon camarade,
Et toujours jeune d’humeur ;
Je ne suis jamais malade ;
J’ai bonne jambe et bon cœur.
C’est Bonhomme
Qu’on me nomme ;
Ma santé, c’est mon trésor ;
Et Bonhomme vit encor.
Il pleut ? J’ai mon parapluie ;
Il fait froid ? J’ai mon manteau.
Si par hasard je m’ennuie,
Je m’en vais voir couler l’eau.
La nature tutélaire
Veille sur les passereaux ;
Je laisse tourner la terre ;
Je ne lis pas les journaux.
C’est Bonhomme
Qu’on me nomme ;
Ma gaîté, c’est mon trésor,
Et Bonhomme rit encor.
J’avais assez de richesse ;
Mais je fus trop obligeant,
Ce qui fait qu’en ma vieillesse
Je n’ai pas beaucoup d’argent.
À quoi pourrais-je prétendre ?
Les petits vivent de peu ;
J’ai du vin et du pain tendre,
Et le soleil dn bon Dieu.
C’est Bonhomme
Qu’on me nomme ;
Ma santé, c’est mon trésor ;
Et Bonhomme vit encor.
De tous cotés j’entends dire :
« Que ces jeunes gens sont fous ! »
Je ne fus meilleur ni pire
Que la plupart d’entre vous.
Eh quoi ! pour des peccadilles
Gronder ces pauvres amours !
Les femmes sont si gentilles !…
Et l’on n’aime pas toujours.
C’est Bonhomme
Qu’on me nomme ;
Ma gaîté, c’est mon trésor ;
Et Bonhomme rit encor.
Rien ne peut plus me surprendre :
Là-bas j’irai sans regret ;
Et, quand il faudra m’y rendre,
J’aurai mon paquet tout prêt.
J’ai fait quelque bien sur terre ;
Bientôt je n’en ferai plus ;
Quand je serai sous la pierre,
Je veux qu’on mette dessus :
« C’est Bonhomme
Qu’on me nomme ;
Ma gaîté fut mon tresor… »
Mais Bonhomme vit encor !