Air : Nos aïeux connaissaient à peine.
Quand mes yeux virent la lumière,
Par un pâle soleil d'avril,
Un petit lutin débonnaire
Me récréait de son babil.
D'une voix forte et glapissante,
Je criais à guérir les sourds,
Et le sylphe me disait « Chante,
» Bon courage! et chante toujours. »
Plus tard, pour m'assouplir le crâne,
En classe on m'offrit quelques mois
De la science en bonnet d'âne,
De la morale sur les doigts ;
Avec moi la secte savante
Perdait son temps et ses discours,
Et le sylphe me disait « Chante,
» Bon courage! et chante toujours. »
A l'époque où le cœur s'engage,
Entre nous, j'étais assez laid,
Et la fille la moins sauvage
Semblait m'écouter à regret ;
J'ignorais la langue brulante
Qui sert d'interprète aux amours.
Et le sylphe me disait « Chante,
» Bon courage! et chante toujours. »
Un beau jour, la gloire étonnée
Me trouva dans un régiment,
Où je sus, en moins d'une année,
Tuer un homme proprement :
Chétif, et la jambe traînante,
Je marchais au bruit des tambours.
Et le sylphe me disait « Chante,
» Bon courage! et chante toujours! »
Depuis, en poussant mon alêne,
Je me disais « Suis-je certain
» D'avoir gagné, dans ma semaine,
» Assez pour acheter du pain ? »
Si l'heure du travail est lente,
Les temps de repos sont bien courts.
Et le sylphe me disait « Chante,
» Bon courage! et chante toujours. »
D'une réunion bachique,
Je devins l'ardent sectateur,
Et d'un bien-être fantastique
Je goûtai le charme trompeur.
Là, dans une ivresse bruyante,
J'oubliai bien des mauvais jours.
Et le sylphe me disait « Chante,
» Bon courage! et chante toujours. »
Pourtant, sans haine et sans révolte,
Je quitterai ces lieux charmants,
Où j'ai fait une ample récolte
De soucis et de cheveux blancs.
Demain, j'irai planter ma tente
Dans le moins connu des séjours.
Et le sylphe me dira « Chante,
» Bon courage! et chante toujours. »