Au peuple allemand

Dans l’horreur et le meurtre, et la hargne et la rage,
Allemagne, Allemagne, est-ce donc à jamais
Qu’une bande de rois emploiera ton courage
À préparer un crime ou parfaire un forfait ?

Seras-tu à jamais hypocrite et brutale
Et morne et dure, et celle, hélas, qui n’aime point ;
Et ton immense effort dans la lutte vitale
Ne te servira-t-il qu’à mieux crisper ton poing ?

Tu t’entends à régler avec ordre et science
La guerre et son horreur, la bataille et son deuil ;
Mais quand sentiras-tu, sous ton front, la puissance
D’organiser aussi la révolte et l’orgueil ?

Tu ne livres tes bras qu’aux besognes cruelles.
Ton histoire n’est qu’égoïsme âpre et profond.
Pourtant une autre existe et plus grande et plus belle,
Celle qui donne une âme aux peuples qui la font.

Comprendras-tu, un jour, cette force dardée,
Allemagne, par ceux dont le cœur s’est offert
À se battre tragiquement, pour une idée,
Afin qu’en soit grandi l’homme, dans l’univers.

Comprendras-tu ? — ou bien resteras-tu servile
Et liée à tes rois jusques à leur déclin,
Avec, sous tes pieds lourds, les pavés immobiles,
Dans la honte et la boue et le sol de Berlin ?

Collection: 
1916

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