Muse, allons au cabaret,
C’est le seul endroit potable,
Mettons nos pieds sur la table
Et buvons du vin clairet.
Là. C’est très bien. De la sorte
Je vois qu’ils sont au complet :
Mâtin ! Ce joli mollet
Prouve que tu n’es pas morte.
Puisque Phébus aujourd’hui
Au ciel — combien sale et terne —
N’accroche pas sa lanterne,
Nous nous passerons de lui.
Peut-être bien qu’il se vante
De nous poser un lapin ?
Baste, avec un peu de vin
Facilement on l’invente.
Déjà même je le vois
Comme je te vois, te dis-je ;
Voire même — quel prodige ! —
Du premier coup je le bois ;
Il me chauffe, m’illumine :
— Ô ma muse bon garçon
J’aime d’étrange façon
Ta frimousse de gamine.
Oui, je t’ai quand je te veux,
Soleil ! Et dans moi tu bouges.
— Dieu ! que tes lèvres sont rouges
Maîtresse, et lourds tes cheveux !
Bois, ton verre se dépite.
que les cieux soient étonnés
De voir le bout de ton nez
Plus brillant qu’une pépite.
Faisons-nous une raison,
Muse, et buvons : dans la cave
Le soleil est notre esclave,
Rappelle-toi la chanson :
« Au tiède mois de l’automne
« On met le soleil en tonne,
« Cela fait qu’en la saison
« Où l’on reste à la maison,
« Les délicieux ivrognes
« En peinturlurent leurs trognes.
« Ce soleil éblouissant
« C’est le vin couleur de sang,
« Le vin gai comme une fête,
« Qui fait tourner dans la tête
« Un astre artificiel
« Que l’on croit toujours au ciel. »
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Qui dit cela ? ma petite,
C’est toi, l’automne dernier…
… Hé ! Monsieur du tavernier ?
Ton petit vin m’appétite.
Va m’en chercher, bon marchand,
Tu m’as l’air d’un homme aimable ;
Quand on vend du vin, du diable
Si l’on peut être méchant.