Adieu Paris

 

Adieu, Paris, ville de fer,
Ville de vent, ville de rêve,
Cher Paris où l’amour se lève,
Doux Paris où j’ai tant souffert !

Et le train file, file, file,
Comme un éclair en pleine nuit…
Mon cœur fait encor plus de bruit,
Mon cœur qui n’est jamais tranquille.

Voici, sous la lune de mai,
La plaine qu’on dit pittoresque,
La verte combe où j’ai ri presque,
La colline où j’ai presque aimé.

L’histoire est-elle vraie ou fausse ?
Suis-je un bon, un mauvais témoin ?
Qu’importe ? – Voici déjà loin
Les mornes plaines de la Beauce.

Puis rien. – Du noir, du noir partout,
Noir dans le ciel et sur la terre,
Noir surtout au cœur solitaire,
Gonflé de rage et de dégoût.

Et le train file et le train vole
Avec ses gros yeux qui font peur,
Le train file à toute vapeur
Comme une bête à moitié folle.

Un vent mauvais semble frémir
Dans les verdures qu’on effleure ;
J’entends comme une âme qui pleure…
Mon Dieu ! si je pouvais dormir ?

Toujours, toujours, toujours la bête
Aux crocs baveux, aux flancs repus !
Toujours ces mots interrompus
Qui s’entrechoquent dans ma tête !

Les lourds pays indifférents
Montrent un coin de leur visage ;

La tristesse du paysage
Répond à mes rêves errants.

– Mais qu’est-ce ? – On dirait de la joie.
Tout n’ait donc pas mort encor.
Un trait rose, une barre d’or,
Et l’infini rit et flamboie.

Ce bleu tendre, ce bleu divin !
Qu’ai-je vu ? C’est la mer immense
Où tout finit et recommence,
Que nul jamais n’invoque en vain.

O consolatrice du monde !
Puissante mer, ô grande mer !
Si j’ai quelque chose d’amer,
Qu’il se noie en ton eau profonde !

Dame de sange et de langueur,
Ensorceleuse de la brume,
Ce n’est que dans ton amertume
Que je pourrai laver mon cœur !

Collection: 
1901

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