Épilogue

 
Ô misère ! Misère !
Toi qui pris sur la terre
Encore toute en feu
L’homme des mains de Dieu ;

Fantôme maigre et sombre,
Qui, du creux du berceau
Jusqu’au seuil du tombeau,
Comme un chien suis son ombre,

Ô toi qui bois les pleurs
Écoulés de sa face,

Et que jamais ne lasse
Le cri de ses douleurs ;

Ô mère de tristesse !
Ces chants sont un miroir
Où l’on pourra te voir
Dans toute ta détresse.

J’ai voulu que devant
Ton image terrible,
L’homme le moins sensible,
Le plus insouciant,

Pût sentir et comprendre
À quels prix redoutés
La providence engendre
Les superbes cités.

J’ai voulu qu’en toute âme
La pitié descendît,

Et qu’à sa douce flamme
Tout cœur dur s’attendrît ;

Et que, moins en colère
Et moins de plis au front,
L’homme à juger son frère
Ne fût plus aussi prompt.

Ô misère ! Misère !
Puisse ce chant austère
Trouver sous plus d’un ciel
Un écho fraternel !

Puisse cet hymne sombre
Susciter en tous lieux
Des avocats sans nombre
Au peuple noir des gueux !

Il faut en ce bas monde
Que les plus belles voix

Contre ta lèpre immonde
S’élèvent à la fois ;

Il faut que de sa couche
L’homme chasse la faim,
Il faut à toute bouche
Mettre un morceau de pain ;

Donner la couverture
Aux pauvres gens sans toits,
Et de laine et de bure
Vêtir tous les corps froids.

Il faut, misère infâme,
À ta griffe arracher,
Autant qu’on pourra, l’âme
Avec toute sa chair.

Hélas ! Dans cette tâche,
Quel que soit son effort,

Son labeur sans relâche
Jusqu’au jour de la mort,

Si bien que fasse l’homme
Pour amoindrir le mal,
Et réduire la somme
De l’élément fatal,

Dans les cités humaines
Il restera toujours
Assez de fortes peines,
De maux cuisants et lourds,

Pour qu’en sa plainte amère
L’éternelle douleur
Loin de ce globe espère
Quelque monde meilleur.

Collection: 
1841

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