À une attristée d’ambition

 

Comme hier, vous avez les souplesses étranges
            Des tigresses et des jaguars,
Vos yeux dardent toujours sous leurs ombreuses franges
            L’or acéré de leurs regards.

Vos mains ont, comme hier, sous leurs teintes d’aurores
            Leur inexplicable vigueur ;
Elles trouvent encor sur les touches sonores
            Des accords qui frôlent le cœur.

Comme hier, vous vivez dans les fécondes fièvres
            Et dans les rêves exaltés,
Les mots étincelants s’échappent de vos lèvres,
            Échos des intimes clartés.

Trop heureuse en ce monde et trop bien partagée,
            Idéal et charnel pouvoir,
Vous avez tout, et vous êtes découragée,
            Comme un ciel d’automne, le soir.

                            *

Ne rêvez pas d’accroître et de parfaire encore
            Les dons que vous a faits le ciel.
Ne changez pas l’attrait suprême, qui s’ignore,
            Pour un moindre, artificiel.

Il faut que la beauté, vivante, écrite ou peinte
            N’ait rien des soucis du chercheur.
Et si la rose avait à composer sa teinte
            Elle y perdrait charme et fraîcheur.

Dites-vous, pour chasser la tristesse rebelle,
            En ornant de fleurs vos cheveux,
Que, sans peine pour vous, ceux qui vous trouvent belle
            Sauront le dire à nos neveux.

Collection: 
1862

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