À un mort

 
Sur sa tombe lointaine et que rien ne protège,
Entassant la poussière et les rameaux flétris,
Dix ans viennent de fuir, fertiles en débris ;
Dix ans sur sa mémoire ont répandu leur neige.

Son nom, toujours présent et baigné de nos pleurs,
Reste écrit dans ma vie à la plus belle page.
Ami ! mon cœur, si plein de nouvelles douleurs,
Garde encore une place où saigne votre image.

Que de fois dans ce cœur vous fûtes invoqué !
A chaque jour d’épreuve, à chaque éclair de joie !
En ces temps où tout homme hésite sur sa voie,
O ferme esprit, combien vous nous avez manqué !

J’aimais cette raison puissante et familière ;
J’avais en vous la force appuyant le conseil
Car l’amitié du sage est comme le soleil
Elle a sa chaleur vive et sa douce lumière.

Dans votre âme, ô penseur avant l’heure endormi !
Pour l’âge des moissons germaient de grandes choses ;
Vous abondiez de fleurs qui ne sont point écloses...
Nul ne l’a su, peut-être, excepté votre ami.

Vous aviez la sagesse et l’esprit d’harmonie ;
Vous deviez les répandre, et vous l’avez tenté,
Poëte mort dans l’ombre et sans avoir chanté !
Mais Dieu fit pour lui seul votre amoureux génie.

Et la mort vous a pris ! je vous ai plaint longtemps ;
Le combat de la vie a ses heures de trêve ;
Vous aimiez nos soleils, nos grands bois où je rêve,
Où nous allions tous- deux respirer le printemps.

Désormais un printemps plus sûr et plus paisible
Exhale autour de vous ses parfums sans tarir,
Vous couronne de fleurs que rien ne peut flétrir,
Et dévoile à vos yeux le soleil invisible.

Entre nous tous, c’est vous que Dieu prit en pitié !
Du jour de votre mort ma jeunesse est finie ;
Vous eussiez d’un autre âge écarté l’ironie
Et préservé d’aigreur le miel de l’amitié.

Dieu cueille ses élus dans leurs fraîches années.
Vous avez emporté vos fleurs de l’âge d’or ;
Vous aimiez, vous croyiez, vous espériez encor ;
Vous n’aviez pas subi nos sinistres journées.

Vous étiez, en partant, plein de votre idéal,
N’ayant vu que le bien au fond de toutes choses,
Confiant au succès des généreuses causes,
Et, même en vos douleurs, ferme à nier le mal.

Nulle idole d’un jour n’avait eu votre culte ;
Vous rêviez pour vos dieux un avenir vainqueur,
A la religion que vous portiez au cœur
Les hommes et les temps ne jetaient point l’insulte.

Désespérant du bien, plaignant ceux qui naîtront,
Sondant les profondeurs de la bassesse humaine,
Vous n’avez pas vécu la honte sur le front...
Vous-même, ô cœur sans fiel, auriez connu la haine !

Mais, du chaste séjour où vous êtes monté,
Vous n’apercevez plus rien de triste et d’infâme ;
L’atmosphère d’amour enveloppe votre âme,
Et vous garde à jamais votre sérénité.

Restez dans votre azur au sein des harmonies,
Assis et souriant sur des rayons vermeils ;
Plongez du cœur au fond des choses infinies,
Et mesurez l’espace où flottent les soleils.

Détournez vos regards des cités où nous sommes ;
Vos dieux en sont partis, et leur culte s’y perd...
Mais vous viendrez toujours visiter le désert,
Et j’y retrouverai votre esprit, loin des hommes.

Car c’est là que mon cœur aime à se souvenir ;
Là j’ai versé pour vous mes plus fécondes larmes :
Ami, vous m’y rendez du courage et des armes,
Sous ces chênes sacrés qui parlent d’avenir.

Quand je m’enivrerai de leurs accords sublimes,
Quand tout sera musique et parfum sous les cieux,
Quand tous les horizons s’étendront à mes yeux,
Quand je serai baigné de soleil sur les cimes ;

Dans ces jours où le monde est tout de flamme et d’or,
Où l’ardente couleur sur les formes ruisselle,
Où toute aile palpite et prend un large essor,
Où l’on boit à grand flot la vie universelle,

Si je sens sur mon front un esprit frémissant,
Si je respire l’être à plus larges haleines,
Si l’amour dans mon âme et le sang dans mes veines
Coulent en un accord plus calme et plus puissant ;

Si le rayon d’en haut m’éclaire avec largesse,
Si quelque mot d’espoir doucement soupiré
Fait entendre à mon cœur la voix de la sagesse...
Je saurai que c’est vous et je vous bénirai.

Collection: 
1832

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