À mon ami Paul

 
La prose n'est point sotte, et, — disons-le tout bas, —
Le plus souvent les vers sont de la sotte prose,
De lourds empâtements de vert tendre et de rose,
Des suites d'adjectifs, des oh ciel ! des hélas !
Un orgueilleux jargon où le pauvre poète
Vous dit tout, — excepté ce qu'il a dans la tête.

C'est absurde, c'est plat. Et pourtant, jeune fou,
Voici que je rimaille, allant je ne sais où,
Suant longtemps parfois pour trouver une rime,
Prenant à chaque vers une pose sublime,
Et, — pourquoi le cacher ? — croyant de bonne foi
Qu'il n'est pas de poète aussi tendre que moi.

C'est que je crois encore à mille niaiseries,
Aux femmes, à l'amour, aux bleuets des prairies,
Et que je ne sais pas que, lorsque vient la faim,
Mon beau rêve doré ne donne pas du pain.
Allez, allez, mes vers ! bons ou mauvais, qu'importe !
Si du monde idéal vous m'entr'ouvrez la porte,
Si vos grelots d'argent me rappellent parfois
Le bal mystérieux des sylphides des bois.
Allez et divaguez. Mes fleurettes mignonnes,
Je veux faire de vous de riantes couronnes,
Des bouquets parfumés, des guirlandes de fleurs.
Hélas ! ils n'iront point parer de tendres cœurs ;
Ils n'iront point, cachés sous la fine dentelle,
Effleurer le beau sein de quelque demoiselle,
Brûler sa blanche gorge et palpiter, pressés
Sous les bonds de son cœur, comme sous des baisers.
Je ne suis qu'un poète, et ma maîtresse blonde
Est fille de la flamme ou bien fille de l'onde.
Je ne la vois jamais que dans l'âtre brûlant,
Salamandre joyeuse au voile étincelant,
Ou dans l'eau du torrent qui tombe des collines,
Riante sur l'écume au milieu des ondines.
Mon pied n'a pas heurté des sophas de boudoir ;
Et, comme on passe auprès d'un mendiant, le soir,
Redoutant que la main qui demande, ne prenne,
Les femmes ont passé, s'enfuyant dans la plaine.
Calme et serein, voyant leurs yeux se détourner,
J'aime un bel idéal qui ne se peut faner.

Mais si mes faibles mains, ô couronne embaumée,
N'ont pas tressé vos fleurs pour une bien-aimée,
Si je n'ai pas mêlé mes vers capricieux
Pour faire un seul instant sourire deux beaux yeux,
0 mon humble bouquet, c'est qu'il est par le monde
Un cœur que je préfère au doux cœur d'une blonde,
Un tendre et noble cœur sur lequel aujourd'hui
Je vous mets, pour distraire un instant son ennui.
Allez vers mon ami, car sa mâle poitrine
Est préférable aux seins d'une gorge enfantine,
Et vous brillerez mieux sur son noir vêtement
Que parmi les bijoux d'un corsage charmant.

Mais où suis-je, bon Dieu ! Je viens de me relire,
Et ces vers, commencés par un éclat de rire,
Se terminent, fleuris, par un plaintif accord,
Comme un flot apaisé qui vient baiser le bord.
Insensé ! je voulais railler la poésie,
Et je reprends bientôt ma chère rêverie ;
Moi qui voulais, ce soir, être sage et prudent,
Voici que je me perds dans la nue en montant.
Pardon, mon vieil ami, si ma cervelle folle
S'égare et prend toujours le chemin de l'école ;
Pardon, si je n'ai pu te distraire un moment,
Me faire mieux comprendre et parler sagement.

Collection: 
1860

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