À Madame Victor Hugo

 

Le jour où cet époux, comme un vendangeur ivre,
Dans son humble maison t'entraîna par la main,
Je m'assis à la table où Dieu vous menait vivre,
Et le vin de l'ivresse arrosa notre pain.

La nature servait cette amoureuse agape ;
Tout était miel et lait, fleurs, feuillages et fruits,
Et l'anneau nuptial s'échangeait sur la nappe,
Premier chaînon doré de la chaîne des nuits !

Psyché, de cette cène où s'éveilla ton âme,
Tes yeux noirs regardaient avec étonnement,
Sur le front de l'époux tout transpercé de flamme,
Je ne sais quel rayon d'un plus pur élément :

C'était l'ardent brasier qui consume la vie,
Qui fait la flamme ailleurs, le charbon ici-bas !
Et tu te demandais, incertaine et ravie :
Est-ce une âme ? Est-ce un feu ?... Mais tu ne tremblais pas.

Et la nuit s'écoulait dans ces chastes délires,
Et l'amour sous la table entrelaçait vos doigts,
Et les passants surpris entendaient ces deux lyres,
Dont l'une chante encore, et dont l'autre est sans voix...

Et quand du dernier vin la coupe fut vidée,
J'effeuillai dans mon verre un bouton de jasmin ;
Puis je sentis mon cœur mordu par une idée,
Et je sortis d'hier en redoutant demain !

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Et maintenant je viens, convive sans couronne,
Redemander ma place à la table de deuil ;
Il est nuit, et j'entends sous les souffles d'automne
Le stupide Océan hurler contre un écueil !

N'importe ; asseyons-nous ! Il est fier, tu fus tendre !
— Que vas-tu nous servir, ô femme de douleurs ?
Où brûlèrent deux cœurs, il reste un peu de cendre :
Trempons-la d'une larme ! — Et c'est le pain des pleurs !

Collection: 
1810

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