Souvent sur les mers où se joue
La tempête aux ailes de feu,
Je voyais passer sur ma proue
Le haut mât que le vent secoue,
Et pour qui la vague est un jeu !
Ses voiles ouvertes et pleines
Aspiraient le souffle des flots,
Et ses vigoureuses antennes
Balançaient sur les vertes plaines
Ses ponts chargés de matelots.
La lame en vain dans la carrière
Battait en grondant ses sabords ;
Il la renvoyait en poussière,
Comme un coursier sème en arrière
La blanche écume de son mors !
Longue course à l’heureux navire !
Disais-je ; en trois bonds il a fui !
La vaste mer est son empire,
Son horizon n’a que sourire,
Et l’univers est devant lui !
Mais, d’une humble voile sur l’onde,
Si je distinguais la blancheur,
Esquif que chaque lame inonde,
Seule demeure qu’ait au monde
Le foyer flottant du pêcheur ;
Lorsqu’au soir sur la vague brune,
La suivant du cœur et de l’œil,
Je m’attachais à sa fortune,
Et priais les vents et la lune
De la défendre de l’écueil ;
Sous une voile dont l’orage
En lambeaux déroulait les plis,
Je voyais le frêle équipage
Disputer son mât qui surnage
Aux coups des vents et du roulis.
Debout, le père de famille
Labourait les flots divisés ;
Le fils manœuvrait, et la fille
Recousait avec son aiguille
La voile ou les filets usés.
Des enfants, accroupis sur l’âtre,
Soufflaient la cendre du matin,
Et déjà la flamme bleuâtre
Égayait le couple folâtre
De l’espoir d’un frugal festin.
Appuyée au mât qui chancelle,
Et que sa main tient embrassé,
La mère les couvait de l’aile,
Et suspendait à sa mamelle
Le plus jeune à son cou bercé.
Ils n’ont, disais-je, dans la vie
Que cette tente et ces trésors ;
Ces trois planches sont leur patrie,
Et cette terre en vain chérie
Les repousse de tous ses bords !
En vain de palais et d’ombrage
Ce golfe immense est couronné.
Ils n’ont pour tenir au rivage
Que l’anneau, rongé par l’orage,
De quelque môle abandonné !
Ils n’ont pour fortune et pour joie
Que les refrains de leurs couplets,
L’ombre que la voile déploie,
La brise que Dieu leur envoie,
Et ce qui tombe des filets !
Cette pauvre barque, ô Valmore,
Est l’image de ton destin.
La vague, d’aurore en aurore,
Comme elle te ballotte encore
Sur un océan incertain !
Tu ne bâtis ton nid d’argile
Que sous le toit du passager,
Et, comme l’oiseau sans asile,
Tu vas glanant de ville en ville
Les miettes du pain étranger.
Ta voix enseigne avec tristesse
Des airs de fête à tes petits,
Pour qu’attendri de leur faiblesse,
L’oiseleur les épargne, et laisse
Grandir leurs plumes dans les nids !
Mais l’oiseau que ta voix imite
T’a prêté sa plainte et ses chants,
Et plus le vent du nord agite
La branche où ton malheur s’abrite,
Plus ton âme a des cris touchants !
Du poète c’est le mystère :
Le luthier qui crée une voix
Jette son instrument à terre,
Foule aux pieds, brise comme un verre
L’œuvre chantante de ses doigts ;
Puis, d’une main que l’art inspire,
Rajustant ces fragments meurtris,
Réveille le son et l’admire,
Et trouve une voix à sa lyre
Plus sonore dans ses débris !…
Ainsi le cœur n’a de murmures
Que brisé sous les pieds du sort !
L’âme chante dans les tortures,
Et chacune de ses blessures
Lui donne un plus sublime accord !
Sur la lyre où ton front s’appuie
Laisse donc résonner tes pleurs !
L’avenir, du barde est la vie,
Et les pleurs que la gloire essuie
Sont le seul baume à ses douleurs !