« Puisqu’ici-bas toute âme… »

XI

Puisqu’ici-bas toute âme
Donne à quelqu’un
Sa musique, sa flamme,
Ou son parfum ;

Puisqu’ici tout chose
Donne toujours
Son épine ou sa rose
A ses amours ;

Puisqu’avril donne aux chênes
Un bruit charmant ;
Que la nuit donne aux peines
L’oubli dormant ;

Puisque l’air à la branche
Donne l’oiseau ;
Que l’aube à la pervenche
Donne un peu d’eau ;

Puisque, lorsqu’elle arrive
S’y reposer,
L’onde amère à la rive
Donne un baiser ;

Je te donne à cette heure,
Penché sur toi,
La chose la meilleure
Que j’aie en moi !

Reçois donc ma pensée,
Triste d’ailleurs,

Qui, comme une rosée,
T’arrive en pleurs !

Reçois mes vœux sans nombre,
O mes amours !
Reçois la flamme ou l’ombre
De tous mes jours !

Mes transports pleins d’ivresses,
Purs de soupçons !
Et toutes les caresses
De mes chansons !

Mon esprit qui sans voile
Vogue au hasard,
Et qui n’a pour étoile
Que ton regard !

Ma muse, que les heures
Bercent rêvant,
Qui, pleurant quand tu pleures,
Pleure souvent !

Reçois mon bien céleste,
O ma beauté,
Mon cœur, dont rien ne reste,
L’amour ôté !

19 mai 1836

Collection: 
1909

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