« Au temps que j’étais pur »

 
Inque situm furtim musa trahebat opus!

Ovidius.

I

Au temps que j’étais pur et tout léger d’années.
Quand, pensif écolier, je rêvais dans les bois,
Toutes les nuits, alors, de roses couronnées,
S’inclinaient sur ma couche, avec de douces voix.

Alors les vents du ciel berçaient de leur haleine
Mon sommeil étoile de blanches visions,
Et tout mon cœur était comme une ruche pleine
Où chantaient les amours et les illusions.

Alors flottaient au loin des vierges gracieuses,
Essaim au pas léger dont j’entendais le bruit,
Elles me regardaient, sous leurs tresses soyeuses,
Avec des yeux brillants et noirs comme la nuit.

Puis partant, dans un songe, au pays des sultanes,
Je suivais la houri pâle et le front voilé,
Qui sur les golfes bleus, au branle des tartanes,
Mord, en rêvant d’amour, l’ambre du narguilé.

Je suivais par les bois, les vallons, les collines,
Ces amants, sous la lune, égarés deux à deux,
Tandis que sous leurs pieds le sable des ravines
Craquait, et que le vent sifflait dans leurs cheveux.

J’enviais dans mon cœur les jours de la jeunesse
Les transports, les serments et donnés et repris ;
Cette félicité qu’ont avec leur maîtresse
Les beaux étudiants, dans leur chambre à Paris.

Et de ces mille voix, ineffable harmonie,
De tous ces fronts charmants, penchés sur mon sommeil,
Une voix m’arrivait plus douce et plus bénie,
Un front, plus que tout autre, était pur et vermeil.

Enfant aux cheveux blonds, enivrante et timide,
Femme, par la douceur, ange, par la beauté,
Dont l’âme rayonnait dans un regard humide,
Comme à travers les flots un beau soleil d’été.

Je la voyais toujours la dernière accourue
À mon chevet joyeux, où depuis j’ai pleuré ;
Quand fuyait de ses sœurs la troupe disparue,
Elle disait : « Enfant, c’est moi qui t’aimerai !

« C’est moi qui t’aimerai, par les sentiers du monde !
Moi, qui consolerai ton cœur, dans le chemin !... »
Et, tous deux, à la classe où la tristesse abonde,
Nous descendions légers et la main dans la main.

Bientôt tout frémissait — vision fantastique —
Livres, plumes, papiers, travaux de chaque jour,
Et du cahier qui tremble, et du poème antique
Sortaient de jeunes voix qui me parlaient d’amour.

Enfant, elle courait dans les vers de Virgile,
Comme dans les sentiers pleins d’oiseaux et de fleurs,
Et nous cherchions, au fond de l’amoureuse idylle,
Un vieux chêne ignoré pour y cacher nos pleurs.

Là nous causions tout bas, là mes mains inquiètes
En de riants tableaux ébauchaient l’avenir,
Je dressais des villas et de belles retraites
Où, le soir, en rêvant, je l’écoutais venir.

Si bien que j’oubliais et le thème et la classe,
Et quand sonnait la cloche à l’appel argentin,
Le vieux maître disait, bondissant à sa place :
« Oh ! l’enfant paresseux qui dort sur son latin ! »

II

Maintenant, j’ai connu, j’ai vu, je sais le monde ;
Les fantômes menteurs se sont évanouis,
Je n’ai plus, dans la nuit, de troupe vagabonde
Qui verse à mon sommeil ses rêves inouïs.

L’odalisque est trop loin, la villa n’a pus d’hôte.
Dans la chambre à Paris, l’amour n’est pas venu,
Aucune femme encor, me suivant côte à côte,
N’a soutenu mon pas, sur les chemins perdu.

Pourtant j’ai rencontré la vierge au doux visage,
La vierge aux cheveux blonds, qui n’a pas oublié.
Toujours, j’ai vu son ombre, à l’heure du naufrage,
Toujours son cœur fidèle, à mes destins lié.

C’était vous ! c’était vous ! ô ma muse ingénue !
Bel ange aux rameaux verts, nymphe au cothurne d’or,
Ô vous qui, réchauffant mon âme froide et nue,
M’avez bercé, le soir, comme un enfant qui dort.

Vous qui m’avez donné les coupes d’ambroisie,
Pour oublier le monde et ses rêves d’un jour ;
Vous dont le luth divin, vous dont la poésie
M’a consolé de tout, et même de l’amour.

Car, lorsque je pleurais, sur mon âme en ruine
Vous êtes descendue, ô colombe de Dieu !
Et j’ai senti mon cœur bondir dans ma poitrine,
Et s’élargir mon front sous vos baisers de feu.

Collection: 
1841

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