Watteau

Au-dessus des grands bois profonds
L?étoile du berger s?allume...
Groupes sur l?herbe dans la brume...
Pizzicati des violons...
Entre les mains, les mains s?attardent,
Le ciel où les amants regardent
Laisse un reflet rose dans l?eau ;
Et dans la clairière indécise,
Que la nuit proche idéalise,
Passe entre Estelle et Cydalise
L?ombre amoureuse de Watteau.

Watteau, peintre idéal de la fête jolie,
Ton art léger fut tendre et doux comme un soupir,
Et tu donnas une âme inconnue au désir
En l?asseyant aux pieds de la mélancolie.

Tes bergers fins avaient la canne d?or au doigt ;
Tes bergères, non sans quelques façons hautaines,
Promenaient, sous l?ombrage où chantaient les fontaines,
Leurs robes qu?effilait derrière un grand pli droit...

Dans l?air bleuâtre et tiède agonisaient les roses ;
Les coeurs s?ouvraient dans l?ombre au jardin apaisé,
Et les lèvres, prenant aux lèvres le baiser,
Fiançaient l?amour triste à la douceur des choses.

Les pèlerins s?en vont au pays idéal...
La galère dorée abandonne la rive ;
Et l?amante à la proue écoute au loin, pensive,
Une flûte mourir, dans le soir de cristal...

Oh ! Partir avec eux par un soir de mystère,
Ô maître, vivre un soir dans ton rêve enchanté !
La mer est rose... il souffle une brise d?été,
Et quand la nef aborde au rivage argenté

La lune doucement se lève sur Cythère.

L?éventail balancé sans trêve
Au rythme intime des aveux
Fait, chaque fois qu?il se soulève,
S?envoler au front des cheveux,
L?ombre est suave... tout repose.
Agnès sourit ; Léandre pose
Sa viole sur son manteau ;
Et sur les robes parfumées,
Et sur les mains des bien-aimées,
Flotte, au long des molles ramées,
L?âme divine de Watteau.

Collection: 
1879

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En juillet, quand midi fait éclater les roses,
Comme un vin dévorant boire l?air irrité,
Et, tout entier brûlant des fureurs de l?été,
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Voir partout la vie, une en ses métamorphoses,
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En un soir diaphane où défaillent des fleurs.

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Croisant ses bras transis sur son coeur ingénu.

Depuis mille et mille ans pareils, le soir venu,
L'Ame assise à la barre,...

Oh ! Écoute la symphonie ;
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Du monotone effort de vivre
Se meurt d'un trépas langoureux.

...

Les désespoirs sont morts, et mortes les douleurs.
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Et ses vieux flancs féconds, travaillés d'un mystère,
Vont s'entr'ouvrir encor d'une extase de fleurs.

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