Pygmalion avait conçu sa Galatée ;
En elle projetant son rêve intérieur,
Il la fit si vivante et parfaite en sa fleur,
Qu’il l’adora, l’ayant trop tendrement sculptée.
Pâle, à genoux, buvant cette blancheur lactée
Dont Aphrodite avait animé la froideur,
Il la priait, le cœur brûlé par sa splendeur :
Sa prière d’amour ne fut pas écoutée…
Elle marchait ; jaloux, il suivait tous ses pas ;
L’être par lui créé ne le regardait pas ;
Et, sincère, instinctive, hélas ! sans être vile,
Pendant qu’éperdu, fou, mourant, il l’implorait,
Parfois, en le voyant souffrir, elle pleurait,
Mais aimait mieux les beaux éphèbes de la ville.
Aimez et vénérez, ne tuez pas les arbres ;
Tout peuple meurt, après que ses grands bois sont morts ;
Il ne suffit donc pas de la splendeur des marbres :
Ces verts abris perdus, les peuples sont moins forts.
Ce n’est pas seulement pour la douceur du rêve,
Par nous goûtée en l’ombre apaisante des bois,
Qu’il conviendra toujours de respecter leur sève,
Sœur pâle du sang rouge, et sacrée autrefois :
C’est qu’ils gardent en eux lame de la patrie,
Son vieil esprit, ses mœurs, son antique vigueur :
Quand la sève à Ilots coule en la forêt meurtrie,
Un peu de notre sang quitte aussi notre cœur.
Un être obscur et deux vraiment dort sous l’écorce.
Les chênes autrefois étaient des demi-dieux,
Protecteurs de la race et gardiens de sa force,
Et leur horreur sacrée étonnait nos aïeux.
Nous la devons aimer, la forêt fraternelle,
Dont l’âme épanche encor le silence et la paix,
La paix des jours premiers réfugiée en elle,
En la verte fraîcheur de ses rameaux épais.
Et, parfois, je voudrais qu’étendant sur la terre
A nouveau son empire et son calme divin,
Elle nous survécût, auguste et solitaire,
Ayant enseveli tout le vain bruit humain.
Dans le sentiment védique.
Entouré de splendeurs, comme un Roi de ses femmes,
Prodigue de ton or, de ton cœur, de ton sang,
Tu t’avances, Soleil, magnanime et versant
L’énergie à nos corps et la joie à nos âmes.
Maître du Ciel, écoute et reçois ma prière :
Cavalier éternel de ces steppes d’azur,
Fais-moi fort, lumineux, véridique et très pur ;
O Roi bon, fais moi bon comme l’est ta lumière.
Puisque ainsi ta pitié m’est douce et que tu m’aimes,
Embrase tout mon cœur, éclaire mon esprit ;
Rajah, dont le regard encourage et sourit,
Fais-moi participer à tes ivresses mêmes ;
Fais-moi marcher heureux et fier en cette vie ;
Mets ta flamme en mon sein, ta clarté dans mes yeux ;
Et ma mortalité n’enviera pas les Dieux,
De ténèbres sans fin dût-elle être suivie !
Au sein de l’effrayant espace où l’âme habite,
Le moi, c’est la coquille étroite qui l’abrite,
Abri qu’elle a construit, où pour quelques instans,
Dans l’océan sans fond de l’espace et du temps,
Elle résiste donc à l’énorme pesée
De ce Tout formidable, et par lui non brisée
Vit, palpite, grandit, brave cet Infini,
Chétive, est cependant une heure égale à lui,
Sa conscience étant peut-être en cet atome,
Pour qui la Vie a l’apparence d’un fantôme !
Parmi ces rencontres d’atomes,
Ne sachant pourquoi je suis né,
Je marche comme halluciné
En un tourbillon de fantômes !
Vague étincelle entre deux nuits,
Entre deux néants ombre d’être,
A la veille de disparaître,
Je ne sais encor qui je suis…
Elle étanche des cœurs la soit inassouvie,
Elle endort le blessé sur le froid de son sein ;
La Mort vient réparer les crimes de la Vie,
Apaisant la victime, et tuant l’assassin.
Mais puisse-t-elle au moins, quand, calmant la souffrance,
Elle promet la nuit profonde et le sommeil,
Elle, ne pas mentir ni tromper l’espérance
Du repos infini qui n’a pas de réveil !
Jouet vil, que rejette ou saisit la Nature,
Ne pouvoir s’évader de sa main qui vous prit ;
Oh ! torturé, venir encor à la torture,
Revivre, pour souffrir encor, comme on souffrit !
Ou la connaître, alors qu’on ne l’a pas connue,
Dans l’existence heureuse et calme d’où l’on sort,
Avec la faim, le froid mordant sur la peau nue,
La Misère, qui fait moins horrible la Mort !…
Je n’avais droit à rien, et tu m’as tant donné,
Ma pensée et mes sens, mes yeux et mes oreilles,
Pour voir et pour entendre, encor tout étonné,
Mus du rythme éternel, l’espace et ses merveilles.
Je n’avais droit à rien, et de toi j’ai reçu,
Etre inconnu, par qui je suis, je vis et rêve,
La vision du monde, un court moment perçu,
Et l’amour, dont la joie infinie est si brève.
Oh ! que suis-je, et qu’es-tu ? Je ne le puis savoir ;
Mais je te remercie, aux confins de la tombe,
De m’avoir tant donné, m’ayant fait entrevoir
Tes clartés d’or, avant la nuit où je retombe ;
D’avoir permis qu’à moi, le fantôme d’un jour,
Ainsi ta beauté vague ait été révélée,
Et d’avoir fait tomber quelques gouttes d’amour
Vers ma bouche, bientôt pour tout jamais scellée.
Qu’avais-je mérité ? Rien, et tu m’as béni ;
Gomment et pourquoi moi, surtout moi, non tant d’autres
Qui n’ont vu que le mal en ton Être infini,
Et tes laideurs, pour eux à l’image des nôtres ?
Et, bien que vil, comblé sans cesse de tes dons,
Mais songeant aux damnés, j’étais fou de blasphèmes :
Repentant aujourd’hui, j’implore tes pardons,
Et tremble, ayant si mal mérité que tu m’aimes !
JEAN LAHOR.