Vers d’album

Je déclare, soutiens, certifie et proclame
Envers et contre tous, maintenant et toujours,
Q’il n’est pas d’ètre au monde eureus come la fame.
Pour èle nos respects, nos égards, nos amours,
On la fète, on lui fait des jours d’or et de soie,
On la flate, on l’encense, on l’adule, on la choie,

On lui parle à genous, on lui cède le pas.
Qe Monsieur se démène à la Bourse, à la Chambre,
Madame peut chanter, dormir, croiser les bras
Ou lire des romans de janvier à décembre.
Èle parle ? On écoute, on admire, on sourit,
Ses moindres mots sont pleins de finesse et d’esprit.

Autour d’èle, des flots d’adorateurs mistiqes
Se pressent chaqe jour, èle n’a q’à choisir.
Et pour récompenser leurs ardeurs extatiqes,
Ils ne demandent rien qe l’idéal plaisir,
Ah grand Dieu, de baiser un gant de sa main blanche
Ou d’étreindre en valsant son frèle corps qi penche.

Èle résiste aus uns, on vante sa vertu.
Mais pour peu q’èle cède à son premier caprice,
Ah ! sans doute èle avait bien longtemps combatu,

Pauvre àme ! Mais aussi, pour un tel sacrifice,
Qe n’a-t-èle pas droit de réclamer de nous ?
Et notre temps perdu, morbleu, l’oubliez-vous ?

Un mot met à ses pieds l’ome choisi par èle ;
Jamais ni cruautés, ni délais, ni rigueurs.
Mais jusq’au dernier jour il doit rester fidèle.
S’il dessère sa chaîne, èle s’écrie en pleurs
Qe c’était bien assez de son mari, qi brise
Chaqe jour à plaisir sa pauvre àme incomprise.

O vous qi préparez, législateurs pieus,
L’émancipacion complète de la fame,
Soyez bénis ! Hàtez, s’il se peut, par vos vœus,
L’égalité, qe nul plus qe moi ne réclame,
Car il me tarde d’ètre inhumain, à mon tour,
Et d’avoir des rigueurs, si l’on me fait la cour.

Mais qand vous lui direz d’accepter, en échange
De son inviolable et douce royauté
Les charges du travail et de l’égalité,
Et d’ètre un ome, au lieu d’une fleur ou d’un ange,
Alors, réformateurs vertueus et profonds,
Qi vous dit qe la fame acceptera vos dons ?

Collection: 
1895

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