Les nuages flottants déroulaient leur écharpe
Dans le ciel pur, de la couleur des fleurs de lin.
J’étais fervente et jeune et j’avais une harpe.
Le monde se paraît, suave et féminin.
Dans la forêt, des gris violets d’amarante
Réjouissaient mes yeux larges ouverts. J’entendais
Rire en moi, comme au fond d’un passé, l’âme errante
Et le cœur musical des pâtres irlandais.
La sève m’emplissait d’une multiple ivresse
Et je buvais ce vin merveilleux, à longs traits.
Ainsi j’errais, portant ma harpe et sa promesse,
Et je ne savais pas quel trésor je portais.
Un matin, je suivis des hommes et des femmes
Qui marchaient vers la ville aux toits bleus. J’ai quitté
Pour les suivre les bois pleins d’ombres et de flammes
Et j’ai porté ma harpe à travers la cité.
Puis, j’ai chanté debout sur la place publique
D’où montait une odeur de poisson desséché,
Mais, dans l’enivrement de ma propre musique,
Je ne percevais point la rumeur du marché.
Car je me souvenais que les arbres très sages
M’avaient parlé, dans le silence des grands bois.
A mon entour sifflaient les âpres marchandages
Mêlés aux quolibets des compères sournois.
Dans la foule criant son aigre convoitise
Une femme me vit et me tendit la main,
Mais, emportée ailleurs par l’appel d’une brise,
Celle-là disparut au tournant du chemin.
Je chantais franchement : ainsi chantent les pâtres.
Autour de moi, le bruit de la vile cessait,
Et, comme le couchant jetait ses lueurs d’âtres,
Je vis que j’étais seule et que le jour baissait.
Je me mis à chanter sans témoins, pour la joie
De chanter, comme on fait lorsque l’amour vous fuit,
Lorsque l’espoir vous raille et que l’oubli vous broie.
La harpe se brisa sous mes mains, dans la nuit.