Superbia

VOUS me plaisez avec votre lèvre plissée,
Pour l’homme et pour l’amour révélant vos dédains ;
J’aime, quand un aveu sort d’une âme oppressée,
Le regard froid, tombant de vos sourcils hautains.

Que m’importe le cœur qui sous vos pieds se brise,
Pourvu que vos beautés gagnent à ce mépris,
Et que, comme le feu s’anime sous la brise,
Votre geste irrité vous donne un nouveau prix !

On dirait, à vous voir gonfler votre narine,
L’amazone au carquois plein de flèches d’argent,
Ou cette jeune reine à la blanche poitrine
Oui se fit apporter la tête de saint Jean.

Où d’autres paraîtraient ridicules et folles,
Votre nature étrange est dans son élément.
Le stylet meurtrier convient aux Espagnoles ;
Ce qu’on devrait haïr, vous le rendez charmant.

La foule que le ciel créa pour vos caprices,
Vous la voyez à peine errer confusément.
Comme les déités et les impératrices,
Vous trônez dans la gloire et dans l’isolement.

Oh ! votre orgueil est juste, et moi je vous approuve.
Vous avez la beauté pour vous, vous avez tout.
Et, dans cet univers, il n’est rien que je trouve
Digne d’un autre accueil que de votre dégoût.

Que le triste insensé qui vous suit et vous aime,
Désespéré, dans l’ombre aille s’ensevelir !
Que par vous soit brûlé son plus navrant poème !
Sœur des Vénus de marbre, il ne faut point faiblir,

Point de clémence donc ! dédaignez, soyez belle,
Jetez le rire à flots, du haut de vos vingt ans.
Il n’est point, pour gagner l’âme la plus rebelle,
De volupté semblable à vos airs insultants.

Allez ! quoique en ces jeux ce soit moi la victime,
Je ne me plaindrai pas de mon bourreau moqueur.
Je veux, jusqu’à la fin, demeurer dans l’abîme
Où j’enivre mes yeux, en torturant mon cœur.

  

Collection: 
1856

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