Souvenir

 
Le matin souriait, humide de rosée ;
Du haut du ciel pâle un brouillard changeant
Etendait sur le lac et la plaine arrosée
Son voile onduleux aux lueurs d’argent.

Le soleil s’éveillait sous les nuages roses,
Et, dans chaque perle où son disque luit,
Au calice entr’ouvert des fleurs à peine écloses
Buvait lentement les pleurs de la nuit.

Aux bois où les chevreuils ont de fraîches retraites,
Sous les verts taillis tout peuplés d’oiseaux,
Les eaux vives, sortant de leurs grottes discrètes,
Glissaient à travers les frêles roseaux.

L’air matinal, chargé de brumes transparentes,
Mêlait aux parfums vagues et flottants
Ce frémissement clair de musiques errantes
Qui sort du gazon les jours de printemps.

                              * * *

Aujourd’hui, j’ai revu cette douce vallée,
Mais je l’aimais mieux dans mon souvenir.
Elle m’a semblé triste et nue et désolée ;
Il eût mieux valu n’y pas revenir.
 

Où sont les frais sentiers où les âmes jumelés,
Au murmure ami des ruisseaux chanteurs,
Parmi les bosquets verts, connus des tourterelles,
Aimaient à rêver sous les profondeurs ?

Si j’avais un secret pour évoquer les ombres,
Hélas ! je sais bien qui j’appellerais.
Tout s’illuminerait dans ces chemins si sombres,
Et moi-même aussi je rajeunirais.

O char silencieux des heures étoilées !
Reviens sur ta route, et ramène encor
Les blanches visions pour jamais envolées,
La foie espérance et les songes d’or.

Pourquoi ne peut-on pas, seulement pour une heure,
Percer ces brouillards d’hiver gris et froids,
Et revoir un rayon du cher printemps q’on pleure,
Un petit coin bleu du ciel d’autrefois ?

Collection: 
1842

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