• Voici qu'à l'horizon coule un fleuve de sang.
    De sa pourpre lugubre et splendide il inonde,
    Sous les cieux consternés, l'orbe muet du monde,
    Où l'horreur d'un grand meurtre invisible descend.

    Ainsi qu'au lendemain des épiques désastres
    Pour les princes vaincus on drape l'échafaud,
    La Nuit, sur le zénith, debout comme un héraut,
    Étend l'obscurité...

  • L'ombre s'évapore,
    Et déjà l'aurore
    De ses rayons dore
    Les toits d'alentour ;
    Les lampes pâlissent,
    Les maisons blanchissent,
    Les marchés s'emplissent
    On a vu le jour.

    De la Villette,
    Dans sa charrette,
    Suzon brouette
    Ses fleurs sur le quai,
    Et de Vincenne
    Gros Pierre amène
    Ses fruits que traîne
    Un âne...

  • En tous lieux, la foule
    Par torrents s'écoule ;
    L'un court, l'autre roule ;
    Le jour baisse et fuit ;
    Les affaires cessent,
    Les dîners se pressent,
    Les tables se dressent,
    Il est bientôt nuit.

    Là, je devine
    Poularde fine
    Et bécassine
    Et dindon truffé ;
    Plus loin, je hume
    Salé, légume,
    Cuits dans l'écume
    D'un boeuf...

  • ou
    Le portrait manqué


    Jaloux de donner à ma belle
    Un duplicata de mes traits,
    Je demande quel est l'Apelle
    Le plus connu par ses portraits.
    C'est, me répond l'ami Dorlange,
    Un artiste nommé Mathieu.
    Il prend fort peu...
    Mais, ventrebleu !
    Quel coloris, quelle grâce, quel feu !
    Il vous attrape comme un ange ;
    Et...

  • Vive, vive le dimanche !
    Vieil enfant du Carnaval
    De la gaieté la plus franche
    Ce beau jour donne le signal.

    Jeunes et vieux de leur demeure
    S'empressent de déloger,
    Et le même instant sonne l'heure
    De la messe et du berger.

    Vive, vive le dimanche !
    Vieil enfant du Carnaval,
    De la gaieté la plus franche
    Ce beau jour donne...

  • Quelquefois, après des ébats polis,
    J'agitai si bien, sur la couche en déroute,
    Le crincrin de la blague et le sistre du doute
    Que les bras t'en tombaient du lit.

    Après ça, tu marchais, tu marchais quand même ;
    Et ces airs, hélas, de doux chien battu,
    C'est à vous dégoûter d'être tendre, vois-tu,
    De taper sur les gens qu'on aime.

  • L'hiver bat la vitre et le toit.
    Il fait bon dans la chambre,
    A part cette sale odeur d'ambre
    Et de plaisir. Mais toi,

    Les roses naissent sur ta face
    Quand tu ris près du feu...
    Ce soir tu me diras adieu,
    Ombre, que l'ombre efface.

  • Ô mer, toi que je sens frémir
    A travers la nuit creuse,
    Comme le sein d'une amoureuse
    Qui ne peut pas dormir ;

    Le vent lourd frappe la falaise...
    Quoi ! si le chant moqueur
    D'une sirène est dans mon coeur -
    Ô coeur, divin malaise.

    Quoi, plus de larmes, ni d'avoir
    Personne qui vous plaigne...
    Tout bas, comme d'un flanc qui...

  • Iris, à son brillant mouchoir,
    De sept feux illumine
    La molle averse qui chemine,
    Harmonieuse à choir.

    Ah, sur les roses de l'été,
    Sois la mouvante robe,
    Molle averse, qui me dérobe
    Leur aride beauté.

    Et vous, dont le rire joyeux
    M'a caché tant d'alarmes,
    Puissé-je voir enfin des larmes
    Monter jusqu'à vos yeux.

  • Nous jetâmes l'ancre, Madame,
    Devant l'île Bourbon
    A l'heure où la nuit sent si bon
    Qu'elle vous troublait l'âme.

    (Ô monts, ô barques balancées
    Sur la lueur des eaux,
    Lointains appels, plaintes d'oiseaux
    Étrangement lancées.)

    ... Au retour, je vous vis descendre
    L'écumeux barachois,
    Dans les bras d'un nègre de choix :
    ...